aisée : les mains s’y engourdissent à la longue ; les dos achèvent de se courbaturer.
Quand toute la récolte est étendue sur les galets, le soleil a déjà quitté Thorizon. Ce serait le moment de goûter un repos bien gagné. Mais les hommes sont rentrés de la pêche : l’instinct du plaisir l’emporte sur la fatigue ; les jambes retrouvent soudain leur élasticité pour suivre le branle du ballet qui s’est improvisé dans la cour des casernes. Nul besoin de ménétrier ; Mône Lhévéder est là.
Holla ! eme ar verc’h hénan,
Me ha da gauséel hréman.
Rigodon, jargonette !
Rigodon, jargoton !
Pa mo gvverzet ma bizinn vvenn,
A mo eur roben doublichenn.
Rigodon, etc.
Hag eun davanjer’ casimir
A dapo bete penn ma c’hlin.
Rigodon, etc.
Enn traon a vo eunn dentelen,
War he godell eur hokarden,
Rigodon, etc.[1].
Il y a ainsi une bonne soixantaine de couplets : la vieille jargoteuse est le plus fidèle et le plus inépuisable des phonographes, capable de dérouler pendant des séances entières, sans un accroc, les airs enregistrés dans sa mémoire ; mais c’est un phonographe qui ne « fonctionne » qu’à condition qu’on l’arrose… Et, la nuit venue, — une nuit d’août miraculeusement bleue, chaude et veloutée comme une nuit des Tropiques, — sous la lune qui diamante la mer et découpe de grands carrés d’argent dans les mornes de Bono, passe-pieds et gavottes renouent leurs chaînes onduleuses autour des casernes et du fort. Un je ne sais quoi d’amollissant comme une caresse alizée, peut-être quelque brise perdue du paradis des Antilles, a passé sur la Gentilès. Tout l’archipel embaume. Vers dix heures, les danses s’arrêtent ; mais des chœurs féminins, çà et là, s’éveillent
- ↑ Holà ! s’écrie la fille aînée, à mon tour de parler. Rigodon, etc. — Quand le goémon blanc sera vendu, j’achèterai une robe double-chaîne. Rigodon, etc. — Et un devantier de casimir qui me tombera jusqu’aux genoux. Rigodon, etc. — Au
bas sera une dentelle ; sur la poche un nœud de rubans. Rigodon, etc.