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doublé lui-même d’un petit propriétaire ou d’un fermier, qui ajoute ainsi aux revenus de sa terre le casuel de la récolte du goémon. Stagadou, par exemple, la seule île habitée de l’Aber, est louée à un cultivateur qui paie son fermage avec les pains de soude qu’il fabrique. Tel était aussi le cas d’un autre goémonier du Vourc’h, petit hameau de huit ou dix feux blotti autour de la chapelle Sainte-Marguerite, dans l’ « armor » de Porsal, où mon enquête m’avait entraîné un de ces étés derniers. À vrai dire, je n’avais que le choix pour cette enquête : sur toutes les dunes, aux deux côtés de l’Aber, des fours brûlaient, voilaient de leurs lourdes fumées la mer et les îles. Dans les éclaircies de ce brouillard opaque, des ombres se démenaient, apparaissaient, disparaissaient ; des fourches luisaient… Inquiétante fantasmagorie ! Les dunes elles-mêmes n’avaient rien de très rassurant. Là où les foyers n’étaient pas allumés, elles ressemblaient à des cimetières dont on eût violé les fosses, brûlé, dispersé les ossemens. Fosses singulières, longues de 8 à dix mètres sur 70 à 80 centimètres de large, dallées en dessous et sur les côtés, et séparées de mètre en mètre, comme pour des squelettes enfantins, par des traverses de pierre brute posées sur champ. Un je ne sais quoi de barbare et de très lointainement rétrospectif, avivé par le voisinage d’une douzaine de meules rondes et trapues, semblables à des huttes de nomades, émanait de ces déconcertans sarcophages. Plus loin, autour d’une haute gaffe à faucille plantée en terre et dont le croissant d’acier prenait sur le ciel une mystérieuse signification, des blocs noirs, rectangulaires, adossés les uns contre les autres, simulaient de grands cairns préhistoriques. On eût dit des blocs de lave, sans les efflorescences violâtres qui les étoilaient, ou encore les dalles funéraires de ces étranges fosses enfantines, d’abord aperçues sur la dune.

Il n’y faut voir, — on l’a deviné, — que des pains de soude en train de refroidir après avoir été retirés de leurs moules. Ces pains pèsent en moyenne 200 kilos. Leur forme, imposée par les usiniers de la région, varie peu d’une commune à l’autre. En quelques endroits pourtant, comme au Gonquet, l’unité de vente est le tonneau, et nous savons qu’à Pleubian, jadis, c’était la tourte. Les pains de soude, d’ailleurs, ne ressemblent que très vaguement à des pains : mais leur préparation rappelle un peu les procédés des boulangers pour répartir le levain et brasser la