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qu’elle en fit une couronne ; c’est tout. Qu’advenait-il d’elle ensuite ? Les philologues désespèrent de le savoir jamais. Son histoire, disent-ils, devait se dérouler en d’autres couplets, que nous avons perdus : les scribes ont jugé inutile de les écrire, parce que chacun au XIIIe siècle les savait par cœur ; c’est la même paresse des scribes qui expliquerait que nous ayons tant de « refrains fragmentaires, » si peu de chansons complètes. Pourtant, si nous ne connaissons qu’un couplet de la chanson de Bele Aelis, c’est peut-être que la chanson a toujours tenu en ce couplet unique. Une raison de le croire nous en est fournie par un sermon, prononcé vers 1214, où le prédicateur, condamnant Bele Aelis à la damnation éternelle, ne rapporte, lui aussi, que cet unique couplet. G. Paris dit à ce propos : « Le premier couplet surtout devait retentir sans cesse aux oreilles, et, malgré sa grâce et son innocente gentillesse, exaspérer les personnes graves et les moralistes. C’est un de ceux-là, sans doute, qui, lassé d’entendre si souvent chanter comment Aelis se lève, se vêt, se lave et se pare, et songeant en outre à toutes les femmes qu’il voyait le dimanche arriver à la messe en retard à cause du temps qu’elles perdaient à s’attifer, improvisa cette boutade que Jacques de Vitry a recueillie dans un de ses sermons (éd. Crane, p. 114) :


Quant Aeliz fu levée
Et quant ele fu lavée,
Quant ele se fu miree
Bel vestie et micus paree,
S’en furent les croiz alees,
Ja la messe fu chantée :
Diable l’en ont portée. »


Mais pourquoi G. Paris parle-t-il d’un « premier couplet ? » Il résulte de ce texte même que ce prédicateur et cet humoriste connaissaient de la chanson de Bele Aelis précisément ce que nous en connaissons nous-mêmes, pas davantage : sans quoi, s’il était arrivé à Bele Aelis, une fois parée, quelque aventure mémorable et connue de tous, c’est après cette aventure seulement que les diables seraient venus la chercher. — Et pourtant, il est constant que la chanson a l’air d’être incomplète.

Voici, croyons-nous, la solution de cette difficulté. On l’a vu plus haut : comme les danses n’étaient pas exécutées à l’ordinaire