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amans. Comme en tant de jeux similaires (Le loup et la bergerie, la navette et le tisserand), il s’agirait ici d’empêcher le traïtor de. forcer le cercle des danseurs et d’entrer dans la ronde. On peut songer à d’autres explications encore. Ceci du moins semble assuré : la chanson Gaite de la tor n’a pas été composée pour être lue et commentée par des érudits, mais pour être jouée et regardée.


Comme chacun a dû le remarquer chemin faisant et tout au long de sa lecture, les vieux ballets que nous venons de reconstituer rappellent nettement les danses enfantines d’aujourd’hui, telles que nous les retrouvons dans nos souvenirs, et telles que les folk-loristes les décrivent dans leurs recueils de traditions populaires. D’autre part, on admet généralement que les chansons à danser du XIIIe siècle sont le reflet de plus anciennes danses paysannes. Une seule chose est sûre, pourtant : c’est que, sous la forme où nous les avons, agencées et rimées par des poètes de cour, chantées et jouées dans des salles de châteaux, elles sont tout aristocratiques ; et il est fort probable que les rondes populaires d’aujourd’hui ne sont que des formes simplifiées de ces jeux seigneuriaux. La question se pose donc de savoir si les chansons à danser appartiennent originellement au folk-lore. Mais qu’appelle-t-on folk-lore ? Chants ou mélodies, contes, légendes ou croyances, le « peuple » a-t-il jamais créé ? Et qu’y a-t-il de populaire dans la « poésie populaire ? » C’est un problème, et si grave et si complexe qu’il siérait mal de le débattre, voire de le poser, à l’occasion de nos innocentes chansonnettes.


JOSEPH BÉDIER.