Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour une fois M. Hervieu s’est départi de cette règle de l’unité de genre et de ton, où il s’attache ordinairement avec un soin si jaloux. La pièce commence en comédie de mœurs. Il faut nous présenter les personnages qui vont être aux prises et nous faire lier avec eux tout au moins une connaissance superficielle. Nous apprenons qu’une femme encore jeune, quoique déjà mère d’une fille à marier, Thérèse de Mégée, est en grand danger. elle est distraite, rêveuse, absorbée, elle se désintéresse de sa fille, Rose, et plus encore de son excellent homme de mari. Car elle aime le prince Jean. elle n’est pas encore sa maîtresse ; elle a résisté jusqu’à ce jour ; mais nous sentons bien qu’elle est au bout de sa résistance et n’attend plus pour céder qu’une occasion. On sait assez que cette occasion se présente toujours. Le prince Jean est fils du roi de Sylvanie, un pays des Balkans, roi dépossédé, roi en exil, mais qui poursuit âprement un seul but : rentrer dans ses États, remettre la main sur le pouvoir. Il est à la veille de réussir. Ses partisans ont si bien travaillé le pays qu’une révolution va éclater ; seulement lui-même se rend compte qu’il y a contre lui trop de haines accumulées, pour qu’il puisse reprendre le gouvernement. Il faut un roi nouveau, jeune, sans passé, sympathique à la nation. Et ce roi, désigné par la voix populaire, n’est autre que le prince Jean. Il est attendu, appelé, désiré ; d’ailleurs les choses ne sauraient plus souffrir aucun retard : si le prétendant ne se met pas immédiatement en route, tout peut être compromis. Ces révélations, au moment où Jean les reçoit de la bouche de son père, sont loin de le remplir d’aise. Il est essentiellement le prétendant qui ne prétend pas ; il n’a aucune envie de régner ; et il a follement envie de devenir l’amant de Thérèse de Mégée. Le roi de Sylvanie, qui d’ailleurs a été prévenu par la belle-mère de Thérèse, comprend que le principal obstacle réside dans l’amour de son fils pour la jeune femme. Le problème se pose ainsi pour lui : comment guérir Jean de cet amour ? De son côté, Jean ne voit dans tout ce scénario politique qu’un moyen pour obtenir de Thérèse ce qu’elle ne lui a pas encore accordé. Tant il est vrai que chacun poursuit sa chimère et plie les faits au gré de son désir ! Donc il achève de troubler la jeune femme en lui faisant valoir que s’il refuse une couronne, c’est par amour pour elle. Et afin d’emporter son consentement, il s’avise d’une suprême manœuvre qui consiste à prier en menaçant : ou bien Thérèse acceptera le rendez-vous qu’il lui donne dans une petite maison isolée et secrète de Passy, ou bien il partira pour les Balkans. Thérèse promet de venir… Tel est le coin de société qu’on nous présente. Est-il très parisien, et