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tué son amant, pour des raisons politiques. Quant à elle, on ne lui veut pas de mal. Qu’elle s’en aille, on ne l’inquiétera pas. Elle est épouse, elle est mère : qu’elle retourne au foyer où sa place n’est pas encore vide. Terrifiée, vaincue, brisée, Thérèse sort en effet, s’en va devant elle, sans savoir où. Maintenant, et puisque Thérèse est bien partie, on peut remettre en liberté le prince Jean qui a été non pas tué mais terrassé, garrotté, bâillonné. Seulement l’effet obtenu n’est, pas celui qu’escomptait le roi dans sa violence naïve. Loin que Jean ait été ramené à la raison par cette correction énergique et cette impérieuse démonstration de l’autorité paternelle, il est, tel que nous le prévoyions, humilié, exaspéré, emporté contre son père par un accès de haine furieuse. Décidément, il y a de plus en plus de chances pour qu’il n’aille pas rejoindre son poste et que les conspirateurs attendent sous l’orme.

La pièce se terminera par un acte de comédie sentimentale ou de drame moral et larmoyant. Nous sommes de nouveau chez les Mégée, où l’absence prolongée de Thérèse commence à causer de vives inquiétudes. Comment ! On dîne en ville, ce soir, il est déjà sept heures, et Thérèse n’est pas de retour ! Des minutes, des minutes se passent. Sept heures un quart ! Sept heures vingt minutes ! Thérèse arrive enfin, ou plutôt on la ramène, dans quel état ! Songez qu’après la scène que vous connaissez, elle s’est enfuie dans le bois de Boulogne, est tombée évanouie dans une allée ; on l’a transportée dans une pharmacie, un médecin l’a accompagnée en fiacre. Elle a droit à un peu de migraine et à ne pas aller dîner en ville. Mais quoi ! Il paraît que ce dîner a une importance extraordinaire. Si Thérèse n’y assiste pas, le mariage de sa fille Rose est rompu. Et celle-ci vient elle-même supplier sa mère de ne pas la désespérer, de faire un petit effort, d’aller s’habiller. Depuis qu’elle est rentrée chez elle, Thérèse a été reprise par l’atmosphère familiale, elle a été touchée par la douceur de son mari, par la tristesse de sa belle-mère, et voici maintenant que le chagrin de sa fille l’émeut aux larmes. C’est le réveil de l’instinct maternel. Donc Thérèse se pare pour ce dîner solennel, et lorsque, en grande toilette, elle traverse de nouveau son salon, elle y rencontre, qui ? le prince Jean. La surprise des deux côtés est égale : « Comment ! vous n’êtes pas mort ! — Comment ! c’est mon deuil que vous portez si décolleté ! » Voilà enfin l’épreuve décisive qui va remettre les choses dans l’ordre et après laquelle chacun rentrera dans la voie qui lui est naturelle : Thérèse retournera à ses devoirs d’épouse et de mère, le prince Jean ira dans les Balkans oublier et régner.