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Nous pouvons maintenant préciser ce qui constitue le système dramatique dont le Réveil est un spécimen tout à fait significatif, et, en quelque sorte, le type. Ce qui nous frappe d’abord, c’est combien d’événemens s’y pressent en peu de temps. On se plaignait jadis que l’action d’une tragédie fût un peu à l’étroit dans l’espace de vingt-quatre heures. C’est en moins d’un jour et demi que surgissent, s’enchaînent et se dénouent dans le Réveil tant d’incidens, d’ailleurs si peu ordinaires ! En moins d’un jour et demi, le roi dépossédé apprend le succès des manœuvres de ses partisans, met son fils au courant de la situation et des obligations qu’elle lui impose, découvre et déjoue l’intrigue amoureuse du jeune prince, improvise le drame de la maison de Passy entre sept heures vingt du soir et huit heures, Thérèse de Mégée, dont la journée a été déjà si remplie, si fatigante et si énervante, trouve le temps d’avoir avec son mari un entretien tout intime, avec sa fille un concert de sanglots, avec sa belle-mère une scène aigre-douce, avec son amant une sorte de duel d’ironie, et, sa toilette faite, d’arriver encore à point pour se mettre à table I En vérité, elle n’a pas eu une minute à perdre.

Non seulement les événemens sont nombreux et pressés, mais c’est de leur combinaison que résulte tout le drame. Nous sommes sans cesse obligés de faire à l’auteur toute sorte de concessions et d’admettre les arrangemens arbitraires auxquels s’est plu sa fantaisie, et sans lesquels l’action elle-même du drame deviendrait impossible. Car supposons un seul instant que la révolution soit moins imminente dans les Balkans et que les conspirateurs puissent attendre, c’est toute la pièce qui tombe : Thérèse a le temps de devenir la maîtresse du prince Jean, et il y a fort à parier que ses sentimens vertueux, s’ils se réveillent un jour, se réveilleront trop tard. Supposez que le prince Jean n’ait pas commis l’énorme maladresse et, pour tout dire, l’invraisemblable faute d’attirer la jeune femme dans une maison qui appartient à son père, c’est tout le second acte qui devient impossible. Il faut de toute nécessité que cette petite maison soit une maison de conspirateurs, que le roi de Sylvanie y entre à sa guise, et y commande en maître. Il faut que ce soit une maison à deux fins : ce double emploi et cette destination double sont le tout de l’affaire. Une autre adresse de rendez-vous, une autre disposition des lieux, et toute la pièce est changée. Et nous ne sommes pas au bout de ce jeu des rencontres et des coïncidences. Il faut encore admettre que le jour où le prince Jean doit partir pour les Balkans se trouve être précisément celui où Thérèse doit accompagner sa fille à un dîner