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qui décidera de son avenir. Et il faut non moins nécessairement que, dans cette maison mal gardée, le prince Jean se trouve dans le salon de Mme de Mégée, juste à l’instant où celle-ci y paraîtra dans son attirail de mondaine. Comme on le voit, c’est d’un certain agencement des circonstances qu’est fait ici tout le dramatique. Tragédie, si l’on veut et si telle raison que ce soit empêche qu’on n’emploie le mot de mélodrame, le Réveil est, dans toute la force du terme, une tragédie de situations.

Cette importance donnée aux situations ne peut manquer de diminuer d’autant la portée morale de l’œuvre. On se demande à quoi tend un si grand effort, et en vue de quel but laborieusement poursuivi l’auteur a construit un échafaudage si imposant. Se peut-il qu’il n’ait voulu, en partant de si loin, qu’aboutir à la rencontre finale de Thérèse et de Jean ? S’est-il donné tant de mal pour arranger les choses, uniquement afin que Jean eût en quelque manière la vision de ce qui se passerait après sa mort, et fût témoin de la façon dont Thérèse porterait son deuil ? La révélation que lui apporte cette minute peut-elle être vraiment l’objet vers lequel tendait toute la pièce ? Mais nous avons bien de la peine à comprendre le sens de révélation que le prince Jean attache à cette rencontre. Parce qu’il a convié la jeune femme à un rendez-vous, si malencontreusement choisi et si mal abrité contre les surprises fâcheuses, exige-t-il donc que celle-ci s’enferme dans quelque couvent pour y pleurer sa vertu miraculeusement conservée ? Parce qu’il a disparu, par une mort réelle ou fictive, de cette existence où il a tant fait pour apporter le trouble, pense-t-il que Thérèse ne soit plus la même femme qu’elle était auparavant, et tenue aux mille obligations de l’existence familiale, sociale, mondaine ? Parce qu’on va dîner en ville et qu’on a revêtu la toilette de circonstance, ou même parce qu’on échange à table des propos obligeans et qu’on y montre un visage souriant, cela prouve-t-il qu’on n’ait pas le désespoir dans le cœur ? Ah ! le naïf petit prince ! Et comme il lui manque d’avoir lu les livres de M. Paul Hervieu, où éclate justement, dans un si saisissant relief, le contraste entre les apparences de l’altitude mondaine et la réalité de la vie intérieure ! Achetez l’Armature, prince, et lisez Peints par eux-mêmes !

Ou bien devons-nous, comme semble l’indiquer le titre de la pièce, penser que l’auteur a voulu nous faire assister au dénouement d’une crise morale, au « réveil « des sentimens de devoir et de famille dans une âme où ils avaient un instant sommeillé ? Mais ce réveil n’a de