Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Tous trois avaient des vêtemens composés de diverses couleurs éclatantes, crevés de nombreuses déchirures ; tous trois défiaient, avec le dédain provocant de la liberté, tous les destins de la terre.

« Ils m’ont ainsi triplement démontré comment, lorsque la vie est sombre, on peut, en dormant, on jouant, en fumant, triplement la mépriser.

« Longtemps, en poursuivant mon chemin, j’ai contemplé ces Bohémiens, au visage olivâtre, aux longs cheveux. »

Mais, que sert de transcrire les paroles ! Ce sont les notes qu’il nous faudrait citer et qu’il vous faut lire ; ce sont les rythmes, les accords, les trilles et les traits. Alors vous comprendrez, vous sentirez surtout que l’âme d’une race, — de quelle race et quelle âme ! — une âme irritée et dédaigneuse, pensive et frémissante, mystérieuse et libre, n’a besoin, pour s’exprimer tout entière, que de quelques sons.

Trois ou quatre suffisent. Moins qu’un lied : une esquisse et comme une amorce mélodique, un mouvement, une inflexion. Rappelez-vous, au début du troisième acte de Carmen, l’arrivée des contrebandiers et la petite marche qui les accompagne. Dès la première mesure, que dis-je ! dès les trois premiers temps de cette mesure, le caractère, la couleur elle-même est non seulement indiquée, mais établie. Elle s’étend peu à peu sur la phrase d’abord, puis sur la scène entière. L’allure incertaine et comme errante des basses ; le grupetto nonchalant par où commence et recommence le thème ; la tonalité passant d’un mode à l’autre ; le chromatisme indolent et rêveur ; une étrange mélancolie mêlée de gaieté bizarre, le rythme, les intervalles et les timbres, tout enfin, dans cette page de musique pure (car elle est sans action et sans paroles même d’abord), tout revient et nous ramène aux deux élémens qui résument encore une fois le sentiment bohémien : le mystère et la liberté.

Au troisième acte de Miarka, lorsque le rideau s’est levé, découvrant un décor deux fois admirable, idéal et réaliste en même temps : une plaine sans borne sous un ciel sans fin, nous aurions souhaité d’entendre, ne fût-ce que les premières mesures de la marche et du chœur de Bizet. Un tel charme, un sortilège si puissant existe, opère en elles, que de leur rêve immense elles eussent rempli l’immense horizon. Mais la musique même de M. Alexandre Georges ne parut pas ici trop inégale au paysage. De tant de chansons, dont aucune assurément n’est à mépriser : chansons de l’eau, de la parole, des