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dans un grand arbre, avec deux autres saints assis à ses pieds. Lazzaro Bastiani n’était, d’ailleurs, ni le frère ni le parent de son compatriote Carpaccio : mais, sur la foi de Vasari, tous les historiens se sont accordés à le tenir pour un de ses élèves. Or il a suffi à Ludwig d’interroger les archives vénitiennes pour découvrir que Bastiani avait, déjà, un atelier à la date du 5 avril 1449, c’est-à-dire quand Carpaccio n’était pas encore né. Et une étude plus attentive de l’œuvre des deux peintres lui a révélé, en outre, de la façon la plus manifeste, que c’est, au contraire, Carpaccio, plus jeune de vingt ans, qui a été l’élève de Lazzaro Bastiani. Le jeune peintre a même commencé par imiter absolument le style de son maître ; et lorsque, plus tard, il s’est créé le style personnel que nous connaissons, maintes particularités de facture s’y sont conservées, qui venaient encore du vieux Bastiani.

La vérité est que, dans la peinture vénitienne de la seconde moitié du XVe siècle, entre les deux écoles pour ainsi dire « officielles » des Vivarini et des Bellini, existait une troisième école, plus humble, plus obscure, de peintres que l’on n’employait pas à la décoration des grandes églises ni du palais des Doges, mais dont la clientèle principale était formée de ces pieuses confréries qui, sous le nom de scuole, surgissaient alors de tous les coins de la ville. Ces scuole vénitiennes, dont l’histoire et la physionomie sont excellemment reconstituées dans l’ouvrage de MM. Ludwig et Molmenti, étaient, en réalité, des sortes de « cercles, » réunissant tous les membres d’un même métier, ou encore tous les étrangers venus, à Venise, d’un même pays. Elles étaient fermées au public, et, pour la plupart, ont continué de l’être jusqu’au grand bouleversement de la Révolution française. Et ainsi, pendant trois siècles, les guides consacrés à la description de Venise ont ignoré l’œuvre, et souvent jusqu’aux noms, des vieux peintres qui, comme Lazzaro Bastiani, comme Giovanni Mansueti, comme Benedetto Diana, avaient dépensé leur talent à orner de belles histoires de saints les murs des salles où se rassemblaient les confréries des diverses scuole. Carpaccio lui-même, pendant la majeure partie de sa carrière, a été l’un de ces peintres, et par là s’explique le long oubli qui a pesé sur son nom, comme aussi la rareté des documens qui nous parlent de lui.

Rareté si extrême que nous ne connaissons au juste ni la date de sa naissance, ni celle de sa mort. Nous pouvons seulement conjecturer qu’il a dû naître aux environs de l’année 1455, car nous voyons qu’en 1472, il se trouvait déjà en âge d’hériter de l’un de ses oncles ; et, de même, nous savons qu’il a dû mourir entre la fin de 1523, où