Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/477

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

doute que la soudaineté de son apparition lui donnerait plus d’éclat. Au dernier moment donc, ils ont découvert… M. Sarrien. Il n’aurait peut-être pas été impossible de le deviner. Tout le monde connaît l’importance de M. Sarrien dans son parti. Il la doit à des qualités aimables et à une inertie politique qui ne s’est pas démentie depuis de longues années déjà. M. Sarrien ne se manifeste que les jours de crises ministérielles, non pas pour briguer un portefeuille, il n’en veut pas pour lui-même, mais pour dire quels sont ceux qui sont susceptibles d’en avoir un, qui y sont idoines. Dans ces momens mais dans ces momens seuls, M. Sarrien est un homme terrible : un simple froncement de sourcil, une moue dédaigneuse de sa part jugent un homme et le condamnent. Son veto est respecté. Après l’avoir prononcé, il rentre modestement dans l’ombre et le repos. Ces services intermittens lui ont valu une grande considération. Comme il ne fait rien lui-même, il ne fait pas de fautes, ce qui lui permet de juger celles des autres avec sévérité ou avec indulgence, suivant les cas. C’est ainsi qu’il est devenu le meilleur concurrent à opposer à M. Doumer. Si le parti radical-socialiste avait mis en avant un de ses chefs véritables, il aurait été écrasé ; mais avec M. Sarrien, candidat essentiellement neutre, qui irrite un peu par son importance mais qui désarme par sa bonhomie, il était certain, s’il devait échouer, d’avoir un échec honorable. On a donc vu se dresser en face l’un de l’autre les deux hommes les plus difîérens peut-être de la Chambre, M. Doumer qui est tout action, et M. Sarrien qui est tout inaction. L’action est une force, l’inaction en est une autre : quelle est la plus grande ? Il est difficile de le dire. Pourtant M. Doumer l’a emporté ; mais sa majorité n’a été que de 18 voix. L’année dernière, il se présentait contre M. Brisson, qui était en possession du fauteuil, qui présidait fort bien et qui était incontestablement un des hommes les plus considérables de son parti. Aussi la majorité de M. Doumer avait-elle été alors un peu plus forte ; elle avait été de 25 voix. Combien M. Sarrien était plus redoutable que M. Brisson ! Le trait de génie des radicaux-socialistes est de l’avoir compris. S’ils avaient mis en avant un simple mannequin, la majorité de M. Doumer aurait encore un peu diminué. Le gouvernement démocratique et parlementaire, tel que nous le pratiquons, est défavorable aux personnalités quelque peu accusées et favorable aux autres. On aurait cru le contraire avant l’épreuve ; mais il faut bien se rendre à l’évidence.

Quelle lumière peut-on tirer de l’élection à la présidence de la Chambre et du Sénat pour éclairer par avance l’élection à la prési-