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tout prévu, qu’elle ne mérite aucun amendement. Il n’y a pas de jugement plus faux ; on ne doit pas se lasser de répéter que toute fraude qui réussit a pour auteurs des hommes passionnés et pour complices des lois impuissantes.

Nous croyons utile de rappeler les responsabilités, de voir le mal qu’ont accompli les ardeurs des partis, et le peu qu’a jusqu’ici tenté l’autorité publique pour les contenir et les réprimer.

Quand nous aurons mesuré les faits qui la mettent en péril, la liberté électorale nous apparaîtra plus nettement. Les moyens employés pour l’étouffer feront ressortir en pleine lumière les garanties qui peuvent la défendre.


I


En remontant jusqu’aux premiers temps qui ont suivi la Charte de 1814, il serait facile de montrer que toutes les élections se ressemblent. Il vaut mieux nous borner aux exemples que nous fournit, depuis un demi-siècle, le suffrage universel. Tantôt libre, tantôt asservi, jamais organisé, le suffrage universel a traversé les crises les plus violentes. À regarder tour à tour l’Empire, les gouvernemens de partis, la démocratie, leurs excès et leurs fautes, un observateur superficiel serait tenté de croire que les maladies de notre régime électoral sont d’origine diverse. En examinant de près les faits, il s’apercevrait qu’un élément vicieux altère seul tout le mécanisme : la candidature officielle ayant la centralisation administrative et la corruption pour instrumens.

En relisant les mémorables vérifications de pouvoirs qui ont suivi les élections générales de 1863 ou celles de 1869, l’impression est la même qu’en écoutant les débats de 1898 ou de 1902. Dans toute élection en France, il y a un fait qui domine : l’intervention des fonctionnaires au profit d’un parti. La mission de celui qui est investi d’une part de la puissance publique est d’assurer l’ordre, il doit à ses administrés la justice, c’est-à-dire l’impartialité. Combien il en est loin lorsqu’il s’agit du scrutin électoral ! Les plus audacieux le faussent ouvertement, les plus adroits agissent sur les consciences, tous se vantent, comme du premier titre à la reconnaissance du ministre, d’être habiles « à savoir faire les élections. » Les récompenses sont à ce prix : c’est le mérite supérieur du préfet, et nul d’entre eux ne s’en cache.