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ronflement cordial du four, dans une plantureuse ferme, où le sabot des vaches piétine lourdement le sol de l’étable ; ni la jovialité de nos foires, avec les visages enluminés, les fanfares, les rires, les hardiesses des belles filles, les querelles qui s’achèvent dans le cliquetis des verres, les sauteries sous des tentes pavoisées de feuillage, toute cette expansion de joie, tout ce débordement de gestes rudes ou gauches, emportés ou tendres, mais personnels. Que cela lui paraîtrait grossier et digne d’une ivresse de barbares ! Surtout, ce qu’il ne verra pas, c’est la place, la place autour de l’église, les maisons autour de la place. Les bourgs japonais, qui échelonnent leurs cabanes des deux côtés de la route, n’ont point de centre où les gens se réunissent, échangent leurs idées, s’entretiennent de leurs affaires et des affaires de la commune, se retrouvent une fois par semaine et chaque dimanche. Les temples écartés et disséminés ne créent pas de lien entre les âmes. Quand je la compare à la nôtre, si nerveuse, si ramassée, la vie japonaise me produit l’effet de ces méduses transparentes, colorées de teintes aussi délicates, de nuances aussi fragiles que leur organisme est rudimentaire. Il me plaît de ne la contempler qu’à travers un peu de mystère et de songe : retirée de cet élément, elle me semblerait peut-être d’une acre sécheresse.

Mais si un livre de classe nous découvre entre l’Occident et l’Extrême-Orient tant de différences sociales, que dire des scènes les plus familières de l’existence ? Hier le Père Aurientis me prévint qu’il passerait la soirée dans un ménage d’artisans et me proposa de m’y emmener. Le ciel était largement étoile ; l’air frais ; les vieilles rues, habitées par les anciens nobles, claires et désertes. L’amoureux qui se hâte au premier rendez-vous ne fait pas plus allègrement sonner la terre que ce missionnaire à barbe grise, quand il va, sous une belle nuit pure, catéchiser une famille de chrétiens.

Nos gens demeuraient au fond d’une impasse, dans une ruelle bordée de logemens ouvriers. Les fenêtres et les portes à coulisse, encore ouvertes, nous permettaient d’apercevoir les deux ou trois petites pièces dont chaque logement se compose. Des enfans à genoux se récitaient leurs leçons sous la lumière laiteuse que leur versait du haut de sa tige frêle une lanterne blanche comme une grosse fleur de lotus ; et des figures reculées dans l’ombre causaient et riaient doucement.