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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/624

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Le logis où nous entrâmes n’était pas grand : une chambre et un cabinet. Le cabinet sert de cuisine. Le père, la mère, les quatre filles reçoivent, mangent, dorment dans la chambre. Pourtant, ce ne sont point des pauvres, et cette pièce, habitée par six personnes, n’empestait pas le relent des promiscuités misérables qui nous saisit au seuil de nos mansardes. Elle était propre et coquette. On en avait recouvert les nattes d’un tapis de rotin, plus frais l’été. De petites commodes en garnissaient le fond. Une minuscule table de toilette ornée d’une glace en occupait un coin ; et deux autres tables de laque, très basses, supportaient, l’une la théière et les gâteaux, l’autre le sabre du père, ancien samuraï, aujourd’hui fabricant d’éventails.

Des voisins, chrétiens aussi, avaient été conviés à la réunion ; un potier, un ciseleur, un lanternier, un second éventailliste, tous artisans qui travaillent chez eux et fournissent leur travail à des maisons d’exportation. Le lanternier n’était venu que pour s’excuser de ne pouvoir écouter le Père Aurientis, car son syndicat, dont il était un des membres influens, tenait ce soir-là sa principale séance. Il nous fit à tous des saluts cérémonieux, mais savamment gradués selon l’importance des hôtes.

Des femmes arrivèrent. L’une d’elles, jeune, avenante, figure ronde et rose, portait un bébé qui suçait son biberon. Elle s’agenouilla comme nous, l’étendit devant elle ; et, pendant que le Père Aurientis, sur le ton de la causerie, expliquait une parabole de Jésus, la jeune mère souriait à son enfant, le caressait, le couvait des yeux, s’enchantait de son trésor. Quand le Père eut fini et qu’on nous eut servi les gâteaux et le thé, les hommes hasardèrent quelques réflexions sur ce qu’ils avaient entendu, puis ils se mirent à parler de leur commerce et de la vie qui devenait chaque jour plus dure. Les vieux et surtout les filles du logis s’empressèrent autour du bébé et se le passèrent de mains en mains.

Jusqu’ici, rien d’étrange ni de particulièrement japonais ; voici où l’extraordinaire commence. J’appris en sortant que cette jeune femme, mariée depuis trois ans avec un employé du chemin de fer et désolée de ne pas avoir d’enfant, avait adopté celui d’une voisine, qu’elle n’était donc que la mère adoptive du joli poupon, et que la voisine, la vraie mère, se trouvait là parmi les étrangères les plus réservées et d’apparence les plus indifférentes… Je pense bien que l’instinct maternel existe au Japon