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comme en Europe : il est vrai qu’au Japon comme en Europe on cuit des gâteaux, mais ils n’ont pas le même goût ; on chôme des fêtes, mais elfes n’ont pas la même couleur ; on aime les danses, mais ce n’est pas du tout la même chose…

Nous avons aussi des renards, mais nous ne possédons pas de temple d’Inari. Les voyageurs affirment que les temples japonais ne sont fréquentes que par des femmes et des enfans. Ils ne sont donc pas allés, sur la route de Fushimi, dans ce temple dont les dépendances, les cours et les jardins recouvrent une immense oasis ! Ils y auraient vu de gros propriétaires déposer sur les degrés de l’autel des sacs de riz marqués à leur chiffre, et de maigres paysans, au cou d’oiseau, se prosterner devant les museaux futés de Nos Seigneurs les Renards. Le spectacle en vaut la peine. Les renards sont les serviteurs d’Inari, déesse du riz et de la fortune ; mais la déesse est invisible ; et les renards, dont les journaux et les contes japonais nous ont tant de fois révélé le pouvoir bienfaisant ou diabolique, ont depuis beau temps usurpé tous les hommages et toutes les offrandes. Ils sont devenus les dispensateurs des biens de ce monde, les patrons des rizières et des geishas. Le peuple conjure leurs maléfices et implore leurs bénédictions.

Je n’ai jamais rencontré de temple plus gai. Les gardiens des portes n’ont point ici le masque horrible ni la fureur ventrue qu’ils présentent d’ordinaire aux boulettes de papier mâché dont les Japonais les constellent, non par irrespect, mais pour interroger l’avenir. (Si je t’attrape où je te vise, tout me réussira.) Ce sont de gentils garçons qui brandissent un arc et qui portent des accroche-cœurs en forme d’éventail. Le temple principal a cinq grandes ouvertures tendues de rideaux en bambou aux broderies roses, cinq autels, cinq miroirs sacrés, et cinq grosses cloches que les pèlerins mettent en branle. Quand elles sonnent toutes à la fois, on croirait que les Japonais ont enfin trouvé le carillon. D’innombrables portiques noirs et rouges mènent à d’innombrables chapelles. Le printemps s’égosille dans les futaies ; le soleil rit sur les toits de chaume ; et partout, au haut des escaliers, embusqués sous les pins, au détour des allées, au bout des sentiers, devant les tabernacles, des couples