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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/629

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second étage, dont le balcon dominait les méandres du fleuve et le grand silence des forêts. Des barques passaient. La brise, qui remuait doucement les saules pleureurs de la rive, était toute parfumée de poudre de riz.

Quand nous eûmes vidé les premières coupes de saké, je dis à Maéda : — Vous ne savez pas combien je suis triste de quitter Kyôto. C’est une ville unique. On y entend battre encore le cœur du vieux Japon. Laissez-moi vous remercier de m’en avoir fait connaître les trésors. L’autre jour, nous visitions l’illustre poterie de Kinkozan, où les potiers, réunis en petits groupes, pétrissent la sainte argile sous de pauvres huttes. S’il vous en souvient, on nous introduisit dans les salles d’exposition : la première était splendide, pleine de potiches extraordinairement brillantes ; mais vous me dites de ne point m’y arrêter, et vous m’avez emmené dans la seconde, plus discrète, aux couleurs plus harmonieuses, aux formes à la fois plus sobres et plus étranges. Nous n’y sommes pas restés longtemps, car vous étiez pressé de me montrer la troisième salle, où les commissionnaires américains ne pénètrent pas, et dont les faïences, décorées d’or, bleues ou vertes, portent sur leurs flancs fragiles toute la grâce et toute l’histoire de votre génie. Ainsi vous avez été pour moi le plus sûr des guides, et je vous en suis reconnaissant.

— Je ne mérite pas vos éloges, me répondit Maéda, car je n’ai point d’esprit, et il vous en a fallu beaucoup pour ne pas vous déplaire en ma société. Je n’osais espérer que Kyôto trouverait en vous tant d’indulgence. Permettez-moi de vous en remercier et de boire, en l’honneur de votre grande civilisation, cette coupe de saké.

La beauté de l’endroit, les barques amoureuses qui dérivaient au pied du mont Arashi, les bruits de musique dont nous étions enveloppés, le parfum des danseuses que la brise nous apportait, la chaleur du saké, éveillèrent chez Maéda des idées riantes et mystérieuses.

— Si j’allais en Europe, me dit-il, pourrais-je connaître Paris comme vous connaissez Kyôto ?

— Ce serait peut-être un peu plus long, lui répondis-je ; mais vous le pourriez, et je me ferais un plaisir de vous montrer et de vous expliquer les troisièmes salles de nos Kinkozan.

— Cependant, il doit y avoir en France des choses qu’un étranger ne voit pas ?