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elles sont prêtes à toutes les oppressions, à toutes les proscriptions, à toutes les injustices.

Cette « mentalité, » qui est à proprement parler une « mentalité » de guerre civile, pourquoi, plus que partout ailleurs, fleurit-elle dans la France contemporaine ? Cela tient, d’après M. Seippel, à ce que, plus que partout ailleurs, la « mentalité romaine » règne encore en France. Car tous ces traits qui caractérisent la France rouge et la France noire, ce sont précisément ceux qui définissent dans l’histoire la tradition romaine. Comme la France rouge et comme la France noire, la tradition ou la mentalité romaine n’est-elle pas « essentiellement unitaire, autoritaire, dogmatique, exclusive de toute liberté individuelle ? » Elle nous a été transmise par la Rome du Bas-Empire : elle s’est tout d’abord imposée, comme il était naturel, à l’Église catholique, et par elle à l’âme française elle-même. L’esprit classique en procède directement, et directement aussi la monarchie absolue. Les forces contraires qu’elle a rencontrées en face d’elle au cours du développement historique, elle les a ou brisées, ou paralysées, ou confisquées : l’esprit gaulois, la Renaissance, la Réforme même n’ont rien pu contre elle ; la Réforme, — celle de Calvin, tout au moins, — qui, originairement, en était la vivante contradiction, s’est, en fait, modelée sur elle : car, si Bossuet est bien « l’expression la plus éloquente, la plus splendide de la mentalité romaine, » rien ne ressemble plus à Bossuet que Calvin. Et quand enfin la pure mentalité romaine a trouvé un adversaire qui pût sérieusement lui résister et lui disputer l’empire, cet adversaire encore était fait à son image : la philosophie du XVIIIe siècle est au fond un catholicisme retourné ; l’Encyclopédie est une Somme théologique, et la Révolution française, avec son credo uniforme, son besoin d’unité à tout prix, son administration centralisée et despotique, ses Jésuites qui sont les Jacobins, la Révolution française ressemble trait pour trait à la France de Richelieu et de Louis XIV.

Depuis lors, les deux Frances, les deux sœurs ennemies, nées d’une même mère dont elles sont le vivant portrait, les deux Frances sont aux prises. Elles ne se contentent pas, hélas ! de nier leur credo réciproque, de s’excommunier et de s’anathématiser tour à tour ; elles en viennent aux mains ; elles luttent ; elles ont recours à tous les moyens pour s’emparer du pouvoir ; et quand l’une d’entre elles y est parvenue, c’est pour proscrire