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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/641

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publiait, il y a quelques mois, des lettres de Gaston Paris au professeur et philologue allemand Lemcke. L’une d’elles, datée du 22 novembre 1865, annonçait à Lemcke la fondation de la Revue critique : « Vous voyez, lui disait Gaston Paris, vous voyez que nous pourrons travailler dans tous les sens ; si nous avons beaucoup de collaborateurs comme vous, je suis sûr que tout ira bien, et j’espère que nous aurons rendu un grand service à la science et à la France. Ce dernier mot vous semblera peut-être prétentieux, mais il n’est que juste. L’ignorance est la plaie de notre pays : elle ronge la société à tous ses degrés. Répandre la science en haut, l’instruction en bas, c’est, je crois, une des manières les plus certaines d’être utile maintenant à mes concitoyens. En cultivant la science, d’ailleurs, on n’apprend pas seulement les faits ou les mots ; l’essentiel n’est pas là ; mais bien dans la méthode, qui enseigne à bien diriger sa pensée, à se soumettre aux faits, à se méfier de la logique pure, et qui préserve de l’abstraction et de l’étroitesse d’esprit, deux extrêmes qui se touchent. » — En vérité, le savant Lemcke, sur de pareilles déclarations, était excusable de prendre en pitié la France intellectuelle et de croire, sans autre information, à l’absolue suprématie scientifique de son propre pays. Mais quand on pense que la France de 1865 était la France de Renan et de Taine, de Fustel de Coulanges, de Comte et de Renouvier, de Claude Bernard et de Pasteur, — de combien d’autres encore ! sans parler de Gaston Paris lui-même, puisque l’Histoire poétique de Charlemagne est de 1865, — on se demande ce que la France d’alors pouvait bien avoir à envier à l’Allemagne ; et si, d’autre part, on songe que celui qui parle ainsi est l’un de ceux dont l’autorité devait aller de jour en jour grandissant hors de France, on ne s’étonne plus du retentissement prolongé de semblables paroles et des traces profondes qu’elles finissent par laisser dans les « mentalités » étrangères. L’opinion du monde à notre égard est faite, pour une large part, d’imprudences de langage commises par des Français.

Il résulte de tout cela que la France est, pour un étranger peut-être surtout, un pays très difficile à bien connaître et à bien juger. Il y faut le temps ; il y faut une enquête approfondie et personnelle ; il y faut une entière soumission aux faits, une grande clairvoyance et une rare impartialité critiques ; avant tout, il faut se dépouiller de ses préjugés de nationalité,