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autre peuple, elle en a, dans le passé, connu les bienfaits et éprouvé la douceur. Car l’unité morale existait en France avant le XVIe siècle : et depuis que la Réforme est venue briser cette unité, nous ne l’avons jamais complètement retrouvée : la France même du XVIIe siècle est moralement moins une que celle du XVe. Cette unité d’autrefois, les deux Frances dont M. Seippel s’est fait l’historien s’efforcent, chacune à leur manière, et par des moyens d’ailleurs également condamnables, de la reconstituer. M. Seippel semble s’étonner que leur conflit soit essentiellement d’ordre religieux. « Dans la plupart des pays de haute culture, écrit-il, et dans tous les pays où le protestantisme a une influence prépondérante, la religion devient de plus en plus le terrain réservé des convictions intimes. L’unité nationale est constituée en dehors de ce terrain-là. Les citoyens, divisés par les croyances, se sentent unis pour la poursuite d’autres fins. » En effet, il n’y a guère qu’en France que les croyances divisent aussi profondément les esprits. Mais cela même n’est-il pas à l’honneur du génie français ? S’il est vrai que le problème religieux soit au fond de tout, nulle part cela n’apparaît plus clairement que dans l’histoire de France depuis quatre siècles. Ce peuple, qu’on prétend léger, a eu sur ce point une vue plus nette, plus juste et plus profonde que tous les autres. Chez lui, la question religieuse est toujours au premier plan ; elle n’est pas compliquée de questions étrangères, politiques ou nationales, économiques ou sociales, qui en obscurcissent ou en dénaturent le sens ; ou plutôt encore, toutes les autres questions sont subordonnées et comme suspendues à cette question essentielle, comme devant en recevoir leur naturelle solution. Et la question religieuse y est posée comme elle doit l’être, non pas comme elle l’est ailleurs, entre ceux qui croient plus et ceux qui croient moins, mais simplement, nettement, on serait tenté de dire loyalement, entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas. La logique et la probité françaises n’admettent pas en pareille matière de moyens termes et de tempéramens. Là est la véritable raison pour laquelle la Réforme, malgré d’imposantes conquêtes individuelles, n’a jamais entraîné très fortement la grande masse de la nation. De très bonne heure, on s’est rendu compte en France que les « difficultés de croire » étaient aussi grandes dans le protestantisme que dans le catholicisme, et ceux qui les jugeaient insurmontables n’ont pas cru