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devoir s’arrêter à ce stade intermédiaire et accommodant sur les chemins de l’incroyance. D’autre part, on a bien vite reconnu dans le protestantisme, — celui de Calvin en particulier, — « une sorte de catholicisme nouveau, plus austère, plus rigoriste, plus étriqué, » — c’est M. Seippel ici qui parle ; — et, dogmatisme pour dogmatisme, nos ancêtres ont mieux aimé s’en tenir à celui qui avait fait ses preuves historiques, et qui, du moins, s’était établi sans verser de sang, — ou tenter résolument d’autres voies. Peut-être y avons-nous perdu sinon pour toujours, au moins pour bien longtemps, notre « unité morale. » Mais nous avons mieux aimé nous exposer à la perdre sans retour que la conserver au prix d’une « fâcheuse équivoque. »


III

Est-il bien vrai d’ailleurs que nous l’ayons perdue sans retour ? Et n’exagère-t-on pas, par intérêt, ignorance ou parti pris, nos divisions intérieures ? La France est toujours aux yeux de l’Europe la grande vaincue de 1870 ; et les vaincus ont toujours tort ! Autant on est indulgent ou aveugle même à l’égard des vainqueurs, autant on se montre sévère et injuste à l’égard des vaincus. On ne leur pardonne pas de s’être laissé battre ; on instruit incessamment leur procès ; on découvre sans cesse de nouvelles raisons de leurs défaites passées ; on escompte leurs défaites futures ; on se partage d’avance leurs dépouilles. On ne dira jamais assez à quel point le Væ victis ! demeure l’éternelle devise du pharisaïsme international.

On aurait peut-être raison de nous condamner à la décadence si d’abord nos discordes théologiques avaient sérieusement compromis notre unité nationale. Mais, grâce à Dieu, il n’en est rien. Chez nous aussi, « les citoyens, divisés par leurs croyances, se sentent unis pour la poursuite d’autres fins. » On l’a bien vu dans une circonstance récente, quand, suivant le conseil d’un éloquent orateur, M. Ribot, toute la Chambre française, — et Dieu sait pourtant si elle représente imparfaitement le pays ! — s’est « groupée autour du gouvernement, » — ou du drapeau, pour mieux dire. Seuls, quelques énergumènes ou quelques habiles du parti collectiviste, — et quelle nation, à cette heure, n’a pas les siens ? — ont cru devoir faire