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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/664

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collectivité, mais à l’individualité, garde quelque chance de réussite, il suffit que la propension à faire une folie soit égale de part et d’autre, ce qui ne saurait jamais arriver dans le cas précédent, une réunion mondaine étant nécessairement moins impressionnable ou suggestible qu’une jolie femme dans le tête-à-tête. Et pourtant, il ne semble pas que le moyen ait réussi à Beyle lui-même aussi bien qu’au héros du Rouge, sauf dans les cas où il était à peu près superflu, en présence de forteresses toutes prêtes à capituler, quel que fût le mode d’approche de l’assaillant. Au contraire, sa correspondance prouve qu’il froissa profondément par des procédés de ce genre, et plutôt moins vifs, la femme qu’il a le plus sincèrement aimée et le plus inutilement poursuivie. Il suffit de lire ses lettres [empêtrées de Varèze et de Florence, en juin 1819, pour juger de l’effet produit sur Mme Dembowska par la mise en œuvre du beylisme.

Cependant, de même qu’il inventa des palliatifs assez efficaces contre sa laideur, — habits « bronze-cannelle, » jabots superbes et doubles gilets dans sa jeunesse, cheveux teints et dandysme persévérant sur le tard, — Beyle a trouvé contre sa timidité persistante des recettes moins radicales et plus utiles que celles dont nous venons de donner une idée. Il ne les a point codifiées sans doute avec autant de soin que les précédentes, mais ses écrits autobiographiques nous les montrent constamment employées par lui afin d’écarter de son existence épicurienne le souci de l’effort. La plus efficace, quand il est possible d’y recourir, c’est le silence, la non-action dans la société. Nul n’en fut davantage épris que Stendhal : il dépasse en ceci son maître Rousseau, au point de s’attribuer l’invention du terme « payer son écot, » — qui vient en réalité de Jean-Jacques, à peine modifié, — pour exprimer le fait de fournir, contre son gré, mais le plus brièvement et le plus efficacement possible, sa quote-part aux plaisirs de la conversation commune. Il intitule un chapitre de son Journal : La vie et les sentimens du silencieux Henri[1]. « Volontiers, dira-t-il plus tard[2], je tombe dans le silence du bonheur, et, si je parle, c’est pour « payer mon billet d’entrée. » Nous avons vu combien il se reprochait, chez les Daru, son mutisme involontaire, mais il trouva par la suite des milieux plus propices à sa « paresse » intellectuelle, et ce fut dans la ville

  1. Journal, p. 350. Ce titre est en anglais.
  2. Biographie de Stendhal par Colomb.