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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/671

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cet officier berlinois a pour ainsi dire substitué sa personnalité à celle de son Sosie, et, par une juste revanche de la véracité offensée, il a diminué la popularité du nom de Beyle, si obstinément masqué par son propriétaire légitime.

Au lendemain de sa mort, un critique de la Revue des Deux Mondes qui l’avait personnellement connu, Auguste Bussière, écrivait[1] : « Tantôt officier de cavalerie, tantôt marchand de fer, tantôt douanier, tantôt femme et marquise, de Stendhal, Lisio, Visconti, Salviati, Birbeck, Strombeck, le baron de Botmer, sir William R… Théodose Bernard (du Rhône), César Alexandre Bombet, Lagenevais, etc., c’est une comédie qu’il s’est donnée à lui-même durant toute sa vie : il fait bon le voir riant sous cape, en dedans, et les lèvres pincées, jusqu’au moment où une terreur panique vient l’assaillir au pied de ce théâtre fantastique qu’il s’est dressé sous son bonnet de nuit, et le fait fuir en renversant toiles et banquettes. Ce moment, où il craint d’être découvert, revient pour lui presque tous les jours, mais surtout les jours où il a publié quelque livre nouveau… On le voit disparaître tout à coup et tout de bon. On le cherche : il est en voyage… il fuit sa pensée produite au grand jour… il fuit jusqu’à ce nom imaginaire qu’il s’est donné à la première page, et dans lequel il tremble lui-même de se reconnaître. » Et le critique, publiant une sorte de notice autobiographique qu’il obtint en 1838 de Beyle, cette fois déguisé en Darlincourt, ajoute qu’elle lui fut remise « avec toutes sortes de petits mystères, et le pseudonyme obligé[2]. »

L’excellent Colomb a écrit de son côté : « Il aimait extrêmement à défigurer son nom, en y retranchant ou ajoutant quelque lettre : c’était également un plaisir charmant pour lui que de s’attribuer un titre ou une profession supposée. » Surtout, ajouterons-nous ici, quand cette attribution était susceptible de le rehausser aux yeux de ses relations de passage ou de ses voisins de table d’hôte. C’est ainsi que, retrouvant en 1811 Mme Pietragrua, et reprenant auprès d’elle des assiduités interrompues dix années auparavant, il lui donnera une « idée embellie » de sa situation présente, exagérant sans doute à plaisir les faveurs du

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1843.
  2. Nous ne parlons point de ses plagiats, si spirituellement exposés, et en somme assez justement excusés par MM. Bélugou et Stryienski. (Soirées du Stendhal Club. Paris, 1904.)