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(700 seulement), mais travaillent beaucoup. On s’aperçoit qu’au grand avantage du commerce maritime au long cours, le beurre ou huile de palme de Guinée peut produire un savon bon marché, d’une qualité très convenable et ayant l’avantage de se dissoudre dans l’eau salée. Manchester, depuis longtemps, avait devancé Marseille dans cette voie. « C’est à la vue de ce savon, — dit en 1865 un personnage de la Famille Benoiton de Sardou, qui vient de visiter l’Angleterre, et raconte ses impressions, — c’est à la vue de ce savon, que j’ai compris tout l’orgueil de la puissance humaine ! »

Pour retourner à Marseille, on n’ignore pas combien, sous l’ancien régime, les coalitions ou trusts étaient défendus. Il y avait eu quelques tentatives de ce genre dès l’époque de Colbert : achats ou monopolisation de matières premières, ouvriers exercés qu’on payait seulement pour ne rien faire, et ne pas s’engager chez des manufacturiers rivaux. En pleine monarchie de Juillet, les fabricans de soude, trouvant leurs gains insuffisans, se coalisent à diverses reprises et soutiennent une lutte habile et acharnée contre les savonniers ; ils finissent par vendre plus de 7 francs un produit qui leur en coûte moins de 5 à obtenir. La législation d’alors, traduite par l’article 419 du Code pénal, ne badinait pas sur des manœuvres de ce genre. D’honorables industriels comparaissent devant le tribunal de Marseille, et chacun des contrevenans encourt 6 000 francs d’amende, jugement que confirme plus tard la cour d’Aix, laquelle toutefois efface le mois de prison dont les premiers juges avaient gratifié le seul spéculateur qui eût été frappé d’une peine corporelle.

C’est à ces quelques traits, choisis parmi les plus curieux que nous aient fourni les archives de la Bourse et quelques ouvrages bien documentés, que nous bornerons la partie historique de notre travail, quoique l’examen des périodes ultérieures nous eût fourni plus d’un détail intéressant.


II

Pendant l’année 1902, la production de la savonnerie marseillaise a dépassé 124 millions de kilogrammes ; durant l’année 1903, le chiffre, en léger progrès, s’est élevé à 128 millions. Tenons-nous en aux premières données : nous pouvons subdiviser cette énorme masse en trois parts très inégales.