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sur l’adversaire, s’il marchait réellement sur Mont-Saint-Jean, ou tout au moins pour agir en liaison avec l’armée principale.

Ces observations de Lettow font surtout, à mon avis, ressortir toute la difficulté de la mission confiée à Grouchy. Sans doute, maintenant que nous savons que les Anglais ont attendu l’Empereur près de Mont-Saint-Jean, et que Napoléon les a suivis dès l’après-midi du 17, il est facile de démontrer que, pour pouvoir s’interposer le lendemain, en temps utile, entre les Prussiens et Napoléon, il était absolument nécessaire que Grouchy s’élevât, dès le soir même, d’une vingtaine de kilomètres au nord de Gembloux. Mais pour faire ce raisonnement, il fallait deux élémens essentiels : connaître la direction exacte de la retraite des Prussiens ; et savoir que Napoléon bivouaquait en face des Anglais près de Mont-Saint-Jean. Le premier élément était entre les mains de Grouchy ; avec plus d’activité il aurait dû le posséder, dès le soir du 17. Mais le second lui manquait ; quand il avait quitté l’armée principale. Napoléon lui avait dit qu’il établirait son quartier général à Quatre-Bras. Depuis, il n’avait plus rien appris. Il lui aurait donc été difficile, sinon impossible de prendre, dès le soir même, la décision qui aurait tout sauvé, et qu’indique, avec une réelle compétence, l’auteur allemand.

« Une pareille pensée, continue Lettow[1], n’est venue à Grouchy ni le 17 au soir, ni le 18 au matin. On est forcé de reconnaître qu’il y a là un manque de coup d’œil militaire ; mais en dehors de cela, on ne peut faire aucun reproche au maréchal. La bonne utilisation du réseau routier était pour lui une tâche nouvelle. À cette époque-là, l’art d’organiser les marches était loin d’avoir fait les progrès actuels. Gneisenau lui-même, qui cependant s’était acquis à cet égard une réputation, a fait dans cette campagne les mêmes fautes que Grouchy. Par contre, Pajol et Exelmans méritent les plus grands reproches pour leur manque d’activité. »

Le général von Lettow est, ensuite, entièrement d’accord avec M. Henry Houssaye, sur les retards et la lenteur de la marche des troupes de Grouchy, du 18 au matin ; sur l’excès de crédulité du maréchal à l’égard d’un habitant de Sart-à-Valhain, ancien officier français, qui lui persuade à faux que les Prussiens avaient dépassé Wavre et s’y concentraient plus au Nord dans la plaine

  1. Napoleons Untergang, p. 388.