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timidement un jeu peut-être habile et certainement compliqué, avec peu de chaleur et peu d’entrain. Les choses ont duré ainsi jusqu’au moment où M. Chamberlain a perdu patience et a lancé contre le char ministériel, qu’il avait quitté en y laissant son fils, une ruade peu élégante, mais très efficace, puisque le char en a été renversé. M. Balfour a donné sa démission en laissant à un ministère libéral le soin de faire les élections devant lesquelles il avait, lui, toujours reculé. Il a cru, en changeant de position et en passant de la défensive à l’offensive, mettre ses adversaires dans un grand embarras. C’est peut-être ce qui serait arrivé un an ou dix-huit mois plus tôt ; lorsqu’il l’a fait, il était trop tard, l’opinion était acquise aux libéraux.

Il est surprenant que M. Balfour n’ait pas compris plus vite que le pays lui échappait, et qu’il lui échapperait de plus en plus à mesure que les élections seraient ajournées. Des indices certains l’avertissaient du danger. Toutes ou presque toutes les élections partielles tournaient contre les conservateurs : ils perdaient continuellement des sièges, qui étaient gagnés par les libéraux. Enfin, à la Chambre même, la majorité, cette majorité formidable du début de la législature, était tombée à rien et une fois même elle s’était changée en minorité. On pouvait croire, on a voulu le faire, qu’il n’y avait là qu’une simple surprise ; mais les surprises de ce genre n’arrivent qu’à un régime à bout de forces. La lassitude des uns, la défection des autres, la défiance de tous, car tous sentaient que le pays évoluait et leur échappait, ébranlaient le bloc et l’effritaient chaque jour davantage. Il aurait fallu en appeler au pays. Mais M. Balfour était l’homme de la temporisation. — Pourquoi faire la dissolution, demandait-il, puisque nous avons encore la majorité dans le parlement, majorité réduite sans doute, mais enfin subsistante ? — Ces raisonnemens, qui ont toujours quelque chose de plausible, perdent un parti en l’empêchant de profiter des dernières occasions et des dernières chances qui lui restent. Enfin on s’use au pouvoir, et tel était le cas du parti conservateur. Il était aux affaires depuis de longues années ; il y avait perdu quelque chose de son énergie première. M. Chamberlain avait essayé de le rajeunir par un empirisme audacieux, et n’y avait pas réussi. Il n’y aurait probablement pas réussi davantage, si M. Balfour avait accepté son remède intégral ; mais, en se séparant du gouvernement, il l’avait singulièrement affaibli. C’est à ce moment que M. Balfour avait dû faire les élections. Cela aurait mieux valu que d’attendre pour démissionner les sommations impérieuses de M. Chamberlain. Plusieurs personnes l’ont pensé : M. Balfour a été d’un autre avis, et il a fait