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vivre au jour le jour son ministère dans une situation médiocre et incertaine dont on vient de voir le triste dénouement.

Le succès des libéraux a plus que doublé leurs forces ; mais il est un autre parti qui, proportionnellement, a grandi encore davantage puisqu’il n’avait qu’une dizaine de voix dans la dernière Chambre et qu’il en aura quatre fois plus dans la nouvelle. C’est le parti ouvrier. Au point de vue parlementaire, il ne reste qu’un appoint dans la majorité, et un appoint qui n’y est pas plus indispensable que celui des Irlandais ; mais, au point de vue moral, comment ne pas en tenir compte ? Lorsque le ministère actuel s’est formé, sir Henry Campbell-Bannerman y a donné une place au parti ouvrier, innovation hardie qui ne devait pas tarder à produire ses conséquences. Le parti est désormais classé. Quelle sera sa politique ? Il serait peut-être téméraire de le dire et même prématuré de le rechercher. Tout porte à croire cependant qu’il ne s’embarrassera pas beaucoup des conceptions purement politiques et que, comme tous les partis d’appoint, comme le parti irlandais lui-même, il pratiquera le do ut des sans le moindre préjugé. Les ouvriers ont fait d’immenses progrès en Angleterre ; ils en feront encore davantage ; ils ont en main dès aujourd’hui l’instrument, nous allions dire l’arme qui leur permettra de les imposer. Le jour viendra, en effet, bien qu’il soit sans doute encore loin, où la majorité libérale diminuera comme l’a fait la majorité conservatrice, et alors les partis d’appoint pourront faire payer assez chèrement leur concours. Aujourd’hui, les libéraux triomphans n’ont besoin que de leurs propres forces, et la seule question est de savoir quel usage ils en feront.

Ce qui nous intéresse le plus, de ce côté-ci du détroit, c’est la politique extérieure du nouveau gouvernement. Il n’y a aucune raison de croire qu’elle soit changée : nous serions plutôt tenté de dire que l’étendue de la victoire libérale est une garantie du contraire. Plus le gouvernement sera libre de son action, mieux cela vaudra. Ses intentions nous sont connues. Les membres principaux du Cabinet, et surtout sir Henry Campbell-Bannerman et sir Edward Grey, les ont exprimées avec beaucoup de netteté et de force. Au milieu de la ruine de tout le reste, la politique extérieure de l’ancien cabinet subsiste tout entière, et le cabinet actuel pourra la poursuivre en toute indépendance. Nous nous en réjouissons, car nous n’avons pas cessé de tenir à l’entente cordiale avec l’Angleterre. Nous regretterions profondément qu’elle fût altérée en quoi que ce fût. Les événemens récens, au lieu de l’ébranler, ont montré qu’elle est en dehors et au-dessus