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conduit en homme de guerre vaillant et expérimenté ?

Faut-il croire que, comme la plupart des maréchaux de l’Empire que la guerre seule avait instruits pour la guerre, le maréchal de Grouchy n’avait pas été préparé, suffisamment, par ses commandemens antérieurs, à diriger une opération de cette envergure, de cette difficulté ; et que n’ayant pas confiance en lui-même, quand Napoléon l’a lancé à la tête de plusieurs corps d’armée, sur les traces des Prussiens, il a hésité, et perdu du temps ?

Faut-il admettre que le souvenir des revers de 1812, 1813, 1814 a été pour quelque chose dans son indécision, et que les lieutenans de l’Empereur de 1815 ne pouvaient pas avoir la même ardeur que ceux de 1806 ? qu’ils n’avaient plus la même foi dans l’étoile de leur chef, le même entrain pour braver les périls et les difficultés, pour rivaliser d’audace, pour chercher à se distinguer sous les yeux de leur glorieux et heureux souverain, et à mériter ses éloges, comme ses faveurs ? A coup sûr, en partant de Ligny, Grouchy n’a pas su deviner qu’il fallait avant tout ne pas perdre une heure ; qu’aussitôt après avoir été éloigné de l’Empereur, sur un faux renseignement, il fallait au plus vite manœuvrer pour se rapprocher de lui, et s’interposer entre l’armée principale et les Prussiens qui, au lieu de se retirer vers l’Est, se rassemblaient au Nord, à Wavre. Il n’a pas su distinguer la direction qu’il devait faire prendre, en toute urgence, à ses troupes pour intervenir à temps le 18.

Mais il faut avouer que l’état-major impérial ne l’a aidé, ne l’a renseigné, en quoi que ce fût, pour mettre en train, et mener à bonne fin cette mission si difficile. La nuit du 16 au 17 juin, que Lettow nous a montrée si bien utilisée par l’état-major prussien, a été perdue pour l’état-major français.

Il était certain, le soir de Ligny, que l’Empereur aurait, le lendemain, à prendre une double décision contre les Prussiens, et contre les Anglais. La nuit aurait dû servir à notre état-major à chercher à fournir à l’Empereur des renseignemens précis, sur ce qui se passait du côté des deux adversaires. On n’en fit rien. Au matin du 17, l’état-major ne put rien indiquer, ni sur ce qui s’était passé à Quatre-Bras devant Ney, ni sur la direction qu’avaient prise les Prussiens. Lorsque Grouchy fut mis tardivement en route, l’Empereur n’avait sur ses ennemis de la veille que des renseignemens incomplets.