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Montalembert, très attaché à la liberté, mais plus attaché encore à l’Eglise ; qui ne concevait guère le salut de la société moderne en dehors de la foi. Il n’y avait pas d’âme plus haute et plus droite que la sienne. Indulgent pour ses amis, d’un commerce sûr et aimable, il gardait toute sa sévérité pour lui-même, ne se permettant presque rien de ce qu’il permettait aux autres. Il ne dédaignait pas la littérature, il en comprenait l’agrément ; mais la gravité de son esprit le portait plutôt vers la politique. Il en parlait la langue dans un style simple et fort, sans ornement, sans périphrase, avec une sobriété voulue, en s’attachant surtout à la trame serrée du raisonnement. Quelques articles publiés par lui dans le Correspondant ou dans la presse locale étaient des chefs-d’œuvre de dialectique.

Son ami, Alexandre de Metz-Noblat, plus jeune que lui de quelques années, partageait ses opinions politiques et religieuses. Peu d’hommes ont été plus complètement d’accord sur toutes les questions, avec cette différence toutefois qu’il y avait chez le plus jeune des goûts littéraires plus prononcés, une plus grande ouverture d’esprit, quelque chose de plus souple et de plus compréhensif. Une seule chose leur manquait à tous deux par la faute de leur éducation et des circonstances, le sentiment des besoins et des droits de la démocratie. Ils appartenaient à ce monde censitaire de la monarchie de Juillet qui avait cru à la durée du régime bourgeois, qui n’avait rien soupçonné de ce qui se passait au fond des âmes populaires, qui n’avait ni prévu ni compris la révolution de Février. Leurs vues politiques, excellentes pour des gens qui réfléchissent et qui raisonnent, dépassaient la portée des foules. Ils auraient supérieurement gouverné une société de sages et de saints ; ils couraient le risque d’être moins écoutés par la démocratie.

La troisième personne qui tenait avec eux à Nancy une place importante était plus près des origines populaires, plus en contact et en communauté d’idées avec le suffrage universel. C’était un ancien sous-préfet de la République auquel le coup d’État avait fait des loisirs, Edouard Gournault. Républicain, caustique, un peu voltairien, il formait le contraste le plus complet avec MM. de Foblant et de Metz-Noblat. Deux liens seulement rattachaient ces trois hommes, le goût des choses de l’esprit et le libéralisme. Ils s’entendaient contre le second Empire, auquel ils faisaient une opposition discrète, mais décidée. L’âme de