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l’opposition lorraine était alors le comte d’Haussonville, un des adversaires les plus militans du gouvernement impérial. Il habitait Paris, mais de fréquens voyages à Nancy lui permettaient de rester en communication avec ses amis politiques. Ses visites étaient une occasion de réunions et de dîners qu’il animait par sa cordialité, par son esprit, par la confiance imperturbable qu’il témoignait dans le succès final. Avec lui, on ne se sentait jamais ni abattu ni inquiet, on entrevoyait toujours la victoire certaine et même prochaine. Il faisait preuve en même temps d’une habileté et d’une fécondité rares pour renouveler le petit nombre d’armes qu’une législation draconienne laissait à la disposition des opposans. Comme le rappelait récemment et justement son fils, ce fut lui qui donna le conseil de substituer une publication intermittente aux Recueils périodiques toujours menacés d’avertissemens et de suppressions. Il fut ainsi le véritable père de Varia publiés chez Michel Lévy, à intervalles irréguliers, de 1860 à 1863, en réalité composés et imprimés à Nancy.

Sous son inspiration, les libéraux de toutes les opinions, légitimistes, orléanistes, républicains, se rencontraient dans une résistance commune aux procédés césariens. Ils ne signaient pas leurs œuvres, ils n’en attendaient ni renommée ni profit électoral. Ils travaillaient uniquement pour le principe, afin de ne pas laisser prescrire en France la notion de la liberté politique, afin qu’il fût bien établi que, même dans les heures les plus silencieuses de notre histoire, quelques voix s’étaient élevées, du moins en Lorraine, pour défendre les traditions libérales. L’historien de la réunion de la Lorraine à la France restait dans son rôle eu soutenant des idées de ce genre. Il illustrait en quelque sorte par des exemples vivans ce qu’il avait écrit du bon sens robuste et de la dignité morale de ses compatriotes. Aussi tous les écrivains des cinq volumes de Varia s’effaçaient-ils modestement devant lui, voulant qu’on lui en reportât tout l’honneur, le désignant à l’unanimité comme l’auteur et l’éditeur responsable de leur œuvre. Leur pensée était, non pas de donner la parole à des individualités isolées, mais de faire parler la Lorraine tout entière par la bouche du comte d’Haussonville.

Quoique personnellement très lié avec ces militans de la politique, M. Guerrier de Dumast se tenait soigneusement à l’écart de leur action. Ayant besoin à chaque instant des pouvoirs