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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/796

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Parmi les familles qui avaient accueilli avec le plus de sympathie les nouveaux professeurs de la Faculté de Nancy s’en trouvait une qu’un lieu particulier rattachait à l’histoire de la Grèce moderne et par conséquent à l’École française d’Athènes, celle des Fabvier. Le général de ce nom avait été le héros de la guerre de l’Indépendance hellénique, le plus en vue des philellènes, le créateur du corps des réguliers qui avait rendu tant de services à la nation grecque. Un de ses neveux qui habitait encore Nancy se mit à la disposition des Athéniens avec une bonne grâce qui établit entre nous les relations les plus cordiales. Un jour où j’examinais sa bibliothèque, je fus frappé du grand nombre d’ouvrages anglais qui y figuraient. Il m’expliqua alors que son père, le frère aîné du général, dont la famille appartenait à la noblesse lorraine, avait émigré et suivi la fortune de l’armée des Princes. Lorsque l’armée des Princes fut licenciée, faute de subsides, le jeune Fabvier qui n’était pas rayé de la liste des émigrés et qui par conséquent ne pouvait rentrer en France, se réfugia en Angleterre où il devint professeur de français à l’université d’Oxford. Là il s’était pris de goût pour le vieux théâtre anglais, il avait acheté et collectionné toutes les pièces du temps de Shakspeare sur lesquelles il avait pu mettre la main. Je les retrouvais chez son fils qui me permit d’en disposer.

Telle fut l’origine de mes études sur les prédécesseurs, les contemporains et les successeurs de Shakspeare. Le sujet de mes premières recherches était trouvé. Il ne me restait plus qu’à persévérer dans cette voie. M. Villemain, alors secrétaire perpétuel de l’Académie française, qui avait été le professeur de mon père à l’École normale supérieure et qui avait contribué à nous inspirer à tous deux le goût de la littérature anglaise, m’encourageait chaque fois que je lui faisais visite. Il habitait à l’Institut l’appartement qu’occupent encore ses successeurs, mais qu’ils ont heureusement transformé. Il y a cinquante ans, les visiteurs n’en connaissaient qu’une pièce encombrée de livres en désordre, la salle à manger actuelle, qui servait de cabinet de travail, où l’on était reçu par un vieillard en costume négligé et d’apparence morose. Le premier abord n’avait rien d’accueillant. M. Villemain commençait toujours la conversation par un long gémissement. Il se plaignait de tout, du régime d’asservissement sous lequel la France vivait après avoir connu les joies et l’orgueil de la liberté, de la vieillesse, de ses