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Les quatre vice-présidens de la ligue brillaient par leur absence. « Ces messieurs, a dit lord Rosebery, ont sans doute reçu, sur la question du Home-rule, des garanties qui les ont pleinement rassurés. » Il est probable qu’ils se sont contentés de recevoir des portefeuilles. Cette conduite est peut-être très politique, mais elle n’est pas très glorieuse. Il y a quelque chose de pathétique à se représenter lord Rosebery, siégeant seul à la table de la présidence, que ses amis et collègues de la veille ont désertée pour prendre leur part du butin. Car enfin, c’est lui qui représente la vraie politique libérale, la seule qui soit conciliable avec le patriotisme. Non seulement il est maladroit de laisser au parti adverse le monopole de ce mot prestigieux d’impérialisme qui a tant d’action sur les foules, mais l’anti-impérialisme est une hypocrisie et un mensonge. Tous les Anglais sont impérialistes de naissance, comme nous le serions nous-mêmes si nous étions nés Anglais. Je pourrais prouver par d’innombrables faits que, sous les gouvernemens libéraux, l’Angleterre a suivi exactement la même politique que sous les gouvernemens conservateurs, en ce qui touche l’expansion coloniale. Seulement, elle l’a suivie timidement et à bas bruit au lieu de l’afficher et de s’en glorifier. La différence est là : elle n’est pas à l’avantage du parti libéral.

18 décembre. — M. Balfour fait un effort pour exposer une politique qui lui soit personnelle. Cette politique paraît bien pâle entre les deux programmes extrêmes. On va encore le traiter de jongleur, d’escamoteur, d’équilibriste ; on dira qu’il exécute « la danse des œufs, » qu’il fait des variations sans fin sur une équivoque. Que dit-il ? Il se déclare partisan du libre-échange ; seulement, il veut avoir le droit d’opposer, au besoin, des tarifs protecteurs aux prohibitions qui ferment les marchés étrangers devant les produits anglais. Ces tarifs fourniront une base pour négocier : « Donnant, donnant. Si vous abaissez vos barrières, j’abaisserai les miennes. Sinon, non. » C’est ainsi, dit M. Balfour, que Cobden et sir Robert Peel auraient compris le free trade. Tandis que le protectionnisme de M. Chamberlain déclare la guerre aux deux tiers de la Planète, celui de M. Balfour est purement défensif. En somme, c’est une politique de compromis ; mais est-ce que la politique est jamais autre chose ? M. Balfour pourrait bien avoir raison ; mais les têtes sont montées, et, dans un moment comme celui-ci, ce sont les excessifs,