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« Je ne suis pas en peine du sentiment que vos braves compagnons d’armes et vous éprouverez en apprenant cet inconcevable événement. Mais, mon cher cousin, n’oublions jamais que Paul Ier était le maître de ses bienfaits et que, s’il nous en retire une partie, il en est un que rien ne peut ravir à la France : l’union de la fille de Louis XVI avec l’héritier présomptif de la couronne. Le temps nous dévoilera les causes d’un événement incompréhensible en ce moment, et si quelque bon Français en sentait abattre son courage, qu’il le ranime en considérant celui de mon ange consolateur. »

La correspondance du Roi avec la Reine qui se trouve alors à Kiel, complète ces confidences et laisse voir combien l’ont à la fois indigné et touché les scènes si diverses qui, à Mitau, ont suivi son départ.

Il écrit le 19 février :

« Il y a bientôt un mois que j’ai été chassé comme un pleutre de Mitau et je n’en sais pas plus la véritable raison que le premier jour… Mais, ce dont je ne vous ai pas parlé, c’est de la barbarie, de la précipitation, des propos insolens avec lesquels le gouverneur qui, jusqu’à mon départ, nous avait témoigné l’intérêt le plus touchant a fait exécuter cet ordre. On a vendu ceux de mes meubles et effets qui n’étaient pas bons à être transportés. Mais, ces gens-là ont mis tant d’entraves à la vente qu’elle a ressemblé à un pillage et ils ont eu soin de se faire adjuger au plus bas prix ce qui était à leur convenance.

« Voilà de grandes infamies ; voici la contre-partie : attentions délicates, tendre intérêt, secours de toute espèce en chevaux, en voitures, en habits, en provisions, en argent, c’est ce que ces infortunés ont reçu des Courlandais, et je ne dis pas d’un, de plusieurs, mais de tous, depuis celui qui mangeait le plus habituellement chez nous jusqu’à l’épicier du coin de la rue. Ici, les détails ne pourraient qu’affaiblir ; mais que votre imagination travaille. Plaisez-vous à inventer ce qu’il peut y avoir de plus touchant, de plus ingénieux dans la bienfaisance, et vous serez encore au-dessous de la réalité. »

Peu de jours après avoir confié ces piquans détails à la Reine, le Roi apprenait par un messager de Caraman que l’asile qu’il avait sollicité du roi de Prusse lui était accordé. Bientôt, une lettre touchante de la reine Louise adressée à la Duchesse d’Angoulême confirmait l’heureuse nouvelle.