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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/838

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seulement un grand souverain, accueillant, honorant, soulageant, consolant le malheur. »

Il est vrai que, quelques jours plus tard, et cet hommage rendu à la mémoire de son bienfaiteur, il envisage, dans une nouvelle lettre au Comte d’Artois, les conséquences de l’événement, en ce qui touche son sort futur.

« Le choix de Varsovie n’a pas été fait sans réflexion. Je voulais, et m’écarter le moins possible de la route que je me suis tracée, et éviter de donner de l’inquiétude, peut-être même de l’embarras au roi de Prusse. D’après cela, je ne pouvais mieux choisir. Varsovie est sur la route de Memel en Italie, derrière tous les États prussiens, et, quoique encore éloigné de tout, je suis cependant bien plus à portée ici qu’à Milan. Enfin, le sort même semble avoir pris soin de justifier le parti que j’ai pris, et ce qui se passe actuellement dans le nord de l’Allemagne, seul asile que j’eusse pu prendre, si je n’avais préféré cette partie-ci, m’en rendrait le séjour fâcheux sous plus d’un rapport.

« Il peut arriver cependant un grand changement dans mon sort et dans mes projets. Vous devinez bien que je veux parler des suites que peut avoir la mort de Paul Ier. Je n’ai point encore heard from Alexandre. Cependant, ou tout ce que l’on dit de son caractère n’est que flatterie, ou il doit, ne fût-ce que par good nature, chercher à guérir les plaies que son père m’a faites. Mais je me mets à sa place. Son rôle vis-à-vis de moi doit être embarrassant. Paul Ier, tout, en m’enlevant asile et revenu, n’a pas révoqué le titre que sa mère et lui avaient reconnu en moi. Mais, en même temps, il a, par l’ambassade de M. de Kalitscheff[1], sanctionné l’existence de la prétendue république. Que peut faire son successeur, s’il veut faire quelques démarches à mon égard ? Me donner mon titre, ce serait courir le risque de se brouiller avec Buonaparte ; le retrancher, ce serait me faire une offense plus grande que tout ce que son père m’a fait. Le silence est un parti mitoyen ; il le gardera peut-être jusqu’au retour d’un courrier qu’il a, dit-on, envoyé à Paris. Cependant, je ne pouvais prendre le même parti. Je dois avoir l’air de croire que 1 empereur de Russie ut sic n’a pas cessé de reconnaître le roi de France. Je me suis donc conduit comme j’avais fait à la mort de Catherine II. J’ai écrit sans attendre la

  1. Peu de temps avant sa mort, Paul Ier avait conclu la paix avec le gouvernement consulaire et nommé ce diplomate ambassadeur à Paris.