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la Providence me permettra de me fixer et de me réunir à vous. Cette vie errante n’a pas grands charmes ; mais, avec ma nièce sous les yeux, et votre pensée dans le cœur, je puis tout supporter. »

Au jour dit, les augustes voyageurs entraient sans apparat dans la vieille capitale polonaise. « Notre voyage de Kœnigsberg ici, écrivait encore le Roi, peut s’appeler heureux puisque, tant de tués que de blessés, il n’y a eu personne. Mais : 1° nous avons versé tout à plat dans un fossé à moitié dégelé ; 2° au passage d’un ruisseau sur lequel on a oublié de faire un pont, une des voitures a mal pris sa direction ; il y a eu un des chevaux noyé et les autres ne valaient guère mieux ; 3° quand nous sommes arrivés au faubourg de Prag, la Vistule nous a dit que cela nous plaisait à dire, et il nous a fallu croquer le marmot pendant deux jours en face de la ville sans y pouvoir arriver. Cependant, le résultat de tout cela est que ma nièce se porte bien et que moi qui, par suite de la versade, suis demeuré deux heures les pieds dans la neige ou sur la glace à recevoir la pluie et qui pouvais raisonnablement espérer de là un rhume et la goutte, j’ai l’insolence de me porter le mieux du monde. »

Il convient d’insister sur l’allègre humeur dont témoignent ces quelques lignes où il est fait si bon marché des périls courus et où il semble que le Roi se considère comme au terme de ses maux. En fait, ayant atteint son but et trouvé sur la route de Naples un asile provisoire, il était disposé à les oublier. Il n’en gardait même pas rancune à celui à qui il les devait et qui, à peu de jours de là, allait tomber sous le fer d’une poignée d’assassins. La nouvelle du trépas tragique de Paul Ier commença à se répandre en Pologne le 6 avril. Si Louis XVIII avait conservé quelque ressentiment dans le cœur, il eût eu lieu d’être satisfait, et il aurait pu se réjouir d’avoir été si promptement et si cruellement vengé. Mais ce n’est pas de la satisfaction qu’il manifeste, bien au contraire. Devant la tombe qui vient de s’ouvrir, il ne se souvient que des bienfaits de l’infortuné sur qui elle va se fermer. Il le confie à son frère : « On dit et d’une manière qui paraît positive que l’Empereur de Russie est mort. Je ne sais si, positivement parlant, c’est un bien ou un mal. Mais je sais que c’est pour nous un devoir d’oublier, excepté la tendresse et le respect que mérite plus que jamais notre fille, tout ce qui nous est arrivé depuis le commencement de cette année et de voir