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soucieux de ne pas laisser démembrer le royaume et de ménager le sang et la vie de ses sujets. « Nous sommes, vous et moi, hommes et Français. Que nous importe la cocarde de ceux qui vont sauver une malheureuse colonie et venger la France et l’humanité de l’incendiaire du Cap ? — Donnez-lui l’enfant, mais qu’on ne le coupe pas en deux ! s’écriait la véritable mère. »

Le consentement du Cabinet de Berlin était acquis, restait à obtenir celui du Cabinet britannique. « Ce sera facile, » avait écrit le Comte d’Artois. Mais il se trompait et dut s’en convaincre dès les premières ouvertures que, d’Edimbourg, il faisait faire à Londres. Il n’était au pouvoir de personne de l’empêcher de partir. Mais on ne lui garantissait pas qu’une fois sorti d’Angleterre, il y pourrait rentrer. A Amiens, lui disait-on, les plénipotentiaires français s’étaient plaints des complaisances du gouvernement anglais pour lui, de l’hospitalité qu’il recevait à Edimbourg. En y restant, il permettait à ses défenseurs de répondre qu’on ne pouvait l’en chasser. En en partant volontairement, il s’exposait à trouver à son retour la porte fermée, ce qui entraînerait d’autres inconvéniens, auxquels il serait difficile de parer, non seulement pour sa personne, mais aussi pour celle de son frère.

« Je serais tenté de supposer, lui mandait-il, que le Cabinet britannique, connaissant la dépendance de celui de Berlin, sa disposition à servir tous les intérêts du Consul, a quelques motifs pour croire que votre liberté et la mienne seraient compromises si on nous tenait réunis à Varsovie. » Il en tirait cette conclusion qu’il fallait ajourner toute tentative de réunion[1].

A peine au courant des objections qu’élève le Cabinet britannique contre le départ de son frère pour Varsovie, le Roi s’inquiète ; il craint d’être obligé de renoncer à un cher et doux espoir. Le 5 juillet, il ne peut plus se faire illusion ; son frère ne viendra pas. Il en est profondément affligé. Mais peut-être l’est-il plus encore par les raisons cachées qu’il pressent sous

  1. On lit dans la même lettre : « La seule chose que je puisse ajouter aux nouvelles politiques, c’est que, depuis que j’ai quitté Londres, trois personnes sont déjà venues m’offrir d’assassiner Bonaparte. Vous jugez, avec quel mépris j’ai repoussé ces infâmes propositions. Ce ne sera jamais avec l’arme des lâches que nous combattrons nos ennemis. » Le Roi répond : « Je vous ai reconnu à l’indignation avec laquelle vous avez repoussé les infâmes propositions qu’on a osé vous faire. » Déjà, à l’occasion de la Machine Infernale, il disait : « J’en anathématise les auteurs, quels qu’ils soient. »