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elles étaient à la fin du XVIIIe siècle, parce que la vie avait encore enchéri plus que le prix du travail. Seules les découvertes scientifiques ont su, de 1850 à 1905, prodigieusement enrichir la masse des ouvriers, en doublant leurs recettes sans presque augmenter leurs dépenses.

Nous verrons, dans la présente étude, quelle force inéluctable a créé de nouveaux riches, comment il s’est constitué, « nécessairement » de nouvelles fortunes, en plus grand nombre et de chiffres beaucoup plus élevés, qu’il ne s’en était trouvé depuis saint Louis jusqu’à Napoléon. C’est là un fait « naturel, » puisqu’il s’est produit en dehors des lois politiques et même, semble-t-il, contre ces lois. Aussi la « politique » est-elle révoltée contre ce fait. Quoique les Français actuels aient deux fois plus de jouissances que leurs pères et qu’ils consomment beaucoup plus de tout, sauf peut-être de la joie, — parce que nul encore n’a su fabriquer de la joie à la mécanique, — un parti s’est fondé pour leur apprendre qu’ils étaient « déshérités » et, naïf en son ignorance, prétend créer la richesse par voie législative. Cependant, il n’est au pouvoir d’aucun parlement ni de la décréter, ni de l’abolir et d’organiser la « médiocratie » pécuniaire. Les lois écrites ne gouvernent pas tout en ce monde ; elles règlent même assez peu de choses. C’est là ce que l’histoire nous oblige à confesser.

Les enrichissemens individuels s’étaient opérés au moyen âge non par la force de la loi, mais par la loi de la force ; par le déplacement de la richesse existante, et non par la création de richesses nouvelles. Même, lorsqu’elles prenaient leur source dans la violence, les grandes fortunes détruisaient des richesses autour d’elles, en même temps qu’elles en concentraient à leur profit. Ce mode d’enrichissement était donc funeste à la communauté. Celle-ci pourtant ne se plaignait pas autant de la « richesse-fléau » d’autrefois, qu’elle réclame contre la « richesse-bienfait » du temps présent. La politique affirmait naguère que les inégalités étaient naturelles et le peuple, dès lors, les croyait justes. De nos jours, la loi les proclame injustes parce qu’il plaît à l’opinion de les estimer déraisonnables. Cependant l’inégalité d’autrefois n’était pas un bien, et celle d’aujourd’hui n’est pas un mal social. Mais, singulière ironie du progrès, la résignation de nos pères masquait à leurs yeux des maux réels, et l’inquiétude de nos contemporains leur engendre des maux imaginaires.