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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/870

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Deux sortes d’opulences s’étaient succédé durant six cents ans, de 1200 à 1800 : au moyen âge, il semble que la collectivité ait dû payer sans compter ce dont elle avait le plus besoin : l’ordre, la sécurité, la paix. A qui donnait… ou promettait ces biens primordiaux, allaient de droit l’argent, avec la puissance et la gloire. L’homme d’argent, c’est l’homme de force, le guerrier qui a réussi. L’homme de douceur, — abbé ou évêque, — dont la crosse balance et contient l’épée, — obtient aussi quelques cadeaux qui se répartissent sur une caste. Mais toute personnelle est la conquête du baron. Il a gagné, il a droit de jouir du butin, de la portion du sol qui lui appartient ; propriétaire des gens comme des choses, et tirant du tout le meilleur parti, en économiste plus ou moins habile, tantôt avide et tantôt débonnaire, fastueux parfois et parfois thésauriseur, jusqu’à ce qu’un plus fort le dépossède et le remplace. Tels furent les riches du moyen âge.

Lorsqu’ils eurent tous été dépossédés et remplacés par un suzerain unique qui, ne tolérant plus d’autre force que la sienne, rendit l’ordre obligatoire et la sécurité banale, il fallut organiser le « faire-valoir » de cette seigneurie énorme, d’allure et d’espèce nouvelle, que l’on nommait l’« État. » Bon gré, mal gré, la collectivité paya pour avoir la guerre extérieure, comme elle avait payé précédemment pour avoir la paix intérieure, et, tondue d’assez près pour la gloire, elle récompensa amplement les intermédiaires indispensables qui savaient comment la tondre, et se chargeaient de l’opération : maltôtiers, partisans, collecteurs et trésoriers de haut grade. Ceux-ci acquirent, de Henri IV à Louis XVI, des fortunes de princes féodaux, plus liquides et moins périlleuses à défendre, sauf l’exemple unique de ce maladroit de Fouquet qui paya pour tout le monde. Tels furent les riches des temps modernes.

A la fin du premier Empire, lorsque toutes les opulences notables de l’ancien régime parurent avoir été balayées par la Révolution, que les illustres bénéficiaires des largesses de Napoléon eurent été réduits à la portion congrue et que les mémoires des fournisseurs de la Grande Armée eurent été rabattus et réglés chichement par un gouvernement sans entrailles, il sembla, dans ce pays nivelé, ordonné, voué par la loi au morcellement des héritages, ne plus rester place pour aucune des ascensions financières dont on avait gardé le souvenir.