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jouissait l’empereur Napoléon III, absorbait une part proportionnellement beaucoup plus forte des recettes nationales : 4 et demi pour 100 en 1640, contre un quart pour 100 en 1870. À ces 21 millions de dépenses, le roi du XVIIe siècle n’aurait pu faire face avec les fruits de son domaine privé. L’ancien revenu féodal du « duc de France, » immensément accru depuis l’origine de la monarchie, gardait dans la bourse publique sa place à part et sa physionomie propre : ruisseau qui coulait au milieu d’un fleuve, sans s’y mêler.

Il provenait des sources les plus diverses et en apparence les moins faites pour se trouver réunies, — produit d’une coupe de bois, jouissance d’un évêché vacant, droit sur la vente d’un fief, héritage d’un étranger décédé en France ; — en réalité ces sommes avaient entre elles un lien traditionnel : c’étaient les recettes « seigneuriales, » les mêmes que l’on payait à Louis le Gros ou à Philippe le Bel, dans les mêmes cas, pour les mêmes motifs ; tout ce que le Roi touchait comme suzerain de fiefs. A mesure qu’il annexait de nouveaux fiefs, il touchait davantage ; mais si ces fiefs agglomérés, qui constituent notre France contemporaine, étaient devenus politiquement inaliénables, — suivant la doctrine de la Chambre des Comptes, — cela n’avait pas empêché la Couronne de manger privément son capital, en vendant une très grande partie de ses domaines.

Ces ventes, ou mieux ces « engagemens, » car elles se faisaient toujours « avec faculté de rachat perpétuel, » étaient une manière comme une autre de faire valoir des terres situées à lointaine distance et de tirer parti de redevances en nature qu’il eût été difficile de maintenir et de percevoir exactement. Les engagistes du domaine étaient comme des créanciers hypothécaires à qui l’on eût laissé la jouissance du gage pour le paiement des intérêts de la somme prêtée. Usufruitiers, plus que propriétaires, ils n’avaient pas, à ce titre, la charge des grosses réparations et parvenaient même à se dispenser des petites. Il n’était pas de grand seigneur, de ministre ou de magistrat qualifié qui ne « tînt par engagement » plusieurs terres domaniales. Chacun d’eux, après les avoir achetées le moins cher possible, s’appliquait de toutes ses forces à empêcher le Roi d’y agir en propriétaire, pour les revenus ; à l’obliger d’y agir en cette qualité pour les dépenses.

Toujours pressé d’argent, l’État ne cessa de procéder de la