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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/889

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très sortables : telle est Mlle de Nesmond, qui épouse un capitaine au régiment de Piémont ; telles sont les demoiselles de Ludres, qui reçoivent 26 000 francs en 1747. Mlle de Melleville, apportant au vicomte de Rochechouart 13 000 francs en mariage, est pauvre eu égard à son milieu ; mais, dans la haute bourgeoisie, le même apport qui, de nos jours, inspirerait le dédain, semblait, il y a cent cinquante ans, fort convenable, 30 000 francs « pour un homme comme moi, » dit un notaire de grande ville en parlant de la dot de sa femme, « cela est beaucoup. » En effet, les femmes d’avocats, de procureurs entrent en ménage avec 6 à 8000 francs, souvent moins. Une dot de 100000 francs, on en parle dans la province ; et tel banquier, qui avait donné 32 000 francs à sa fille aînée, est regardé comme un Crésus parce qu’il octroie, dix-sept ans après, à la cadette, après s’être grandement enrichi, une dot de 325 000 francs, la plus grosse que j’aie notée parmi cette catégorie sociale.

Dans la « bonne ville, » où les fonctions administratives et judiciaires du mari étaient des titres portés aussi par l’épouse, — comme dans l’Allemagne d’aujourd’hui, — Mesdames les conseillères de la cour des Aides, et, au-dessous d’elles, Mesdames les Trésorières de France, devaient être fort recherchées quand elles possédaient 70 000 francs de capital ; au chef-lieu d’arrondissement Madame l’Élue, Madame la lieutenante de la Prévôté, n’avaient que 10 000 ou 12 000 francs. Celles-ci se trouvent à leur tour fort supérieures à la femme du chirurgien de canton, qui n’a de ses parens que 2 400 francs. Dans la petite bourgeoisie d’alors, on appelait « dot, » ce que la même classe maintenant appellerait « misère : » par exemple 450 francs en espèces et 1 350 francs de meubles, de linge et d’habits ; c’est ce que donne le notaire de Brétigny-sur-Orge (1685) à sa fille qui épouse un hôtelier.

Quoiqu’il soit impossible de prétendre évaluer, dans la France d’autrefois, le nombre des possesseurs d’une richesse moyenne ou d’une large aisance, comme nous pouvons le faire dans la France contemporaine, grâce aux taxes sur les successions ou sur les loyers, il est certain qu’il y a, dans la population de 1905 comparée à celle de 1700 ou de 1500, une proportion beaucoup plus forte de gens qui possèdent 10 000, 20 000 ou 40 000 francs de rentes. Sur environ 11 millions de ménages ou de feux actuels, il en est 125 800 ayant pour vivre de