Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/891

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capitale, tient en grande partie à ce que le nombre des riches était relativement faible parmi la population.

Les différences entre l’ancien régime et le temps présent ne sont pas les mêmes à tous les degrés de l’échelle sociale. Elles sont beaucoup moindres par exemple dans la classe populaire, dont les recettes prises en bloc ont seulement doublé, que parmi les richissimes dont la fortune a sextuplé. L’écart s’est donc tendu entre ceux qui sont le plus riches et ceux qui le sont Je moins, — bien que tous se soient enrichis, — parce qu’ils ne se sont pas enrichis pareillement. Et là encore, on peut observer une loi naturelle de la vie, qui est l’inégalité par la sélection. Plus les hommes courent et plus ils vont vite, plus ils s’espacent et se dépassent. Plus l’humanité progresse, plus l’inégalité s’accroît entre les peuples ; plus un peuple progresse, plus l’inégalité s’accroît entre ses citoyens.

C’est le contraire de ce que l’on croit et de ce que certains souhaitent, mais c’est la vérité. Et l’on pourrait en dire autant des trésors de la science que des trésors de l’argent. Plus augmente le savoir humain, plus augmente aussi la distance entre ceux qui savent le moins et ceux qui savent le plus. En fait d’argent, on peut estimer que les revenus intermédiaires entre 5 000 francs et 200 000 étaient, il y a cent cinquante ans, trois ou quatre fois moindres ; que, par conséquent, la masse de la bourgeoisie a vu tripler son aisance et quadrupler son opulence. Ses recettes ont ainsi progressé plus que celles du peuple, qui ont doublé, et moins que celles des ultra-privilégiés, qui ont sextuplé. Mais l’effectif de ces familles richissimes n’est que de 1 000, celui de la bourgeoisie grande et petite est de 420 000 et celui des ménages qui vivent uniquement de leur travail est de 10 millions et demi.

Puisque les recettes des classes laborieuses ont doublé, ce ne sont pas elles qui ont fait les frais de l’accroissement d’opulence des riches. Mais le doublement des recettes de ces dix millions et demi de familles exigeait un chiffre annuel de milliards très supérieur à l’accroissement de revenus des autres classes ; d’autant que la population française a augmenté de plus de moitié depuis 1789. Il a fallu que la demande de main-d’œuvre fût énorme pour faire hausser le prix du travail, alors que les travailleurs, par leur multiplication même, tendaient à le faire baisser. Il a fallu surtout que la même quantité de