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tout le monde l’est, à des degrés divers. La question médico-légale de la responsabilité s’abîme et disparaît dans la responsabilité ou dans l’irresponsabilité universelle.

Cette doctrine, aussi séduisante que dangereuse, est édifiée sur trois principes : 1o il y a série et continuité du plus raisonnable au plus fou ; 2o il y a série et continuité du plus responsable au plus suggestible et au plus irresponsable ; 3o il y a série et continuité de l’animal le plus inférieur à l’homme, c’est-à-dire du déterminisme absolu au libre arbitre qui, par conséquent, n’existe pas.


D’abord il y a série et continuité du plus raisonnable au plus fou. Entre les phénomènes physiologiques ou normaux et les troubles pathologiques ou anormaux on ne peut pas, d’une manière générale, établir de ligne de démarcation. Où commence et où finit la fièvre ? Quelles sont les frontières de la maladie ? Impossible de le dire. Tel individu sera dit bien portant avec 80 pulsations et 37°,5 de température ; tel autre sera malade avec 72 pulsations et 36°,8.

Le docteur Héricourt, qui a fait un livre très intéressant sur les Frontières de la maladie, le dit bien clairement : dans la réalité, pour la grande majorité des cas, l’état de santé et l’état de maladie « se prolongent en quelque sorte, d’une façon continue ; la frontière qui les sépare est vague et il est parfois impossible de la délimiter ; » l’état de santé parfait est « relié à l’état de maladie manifeste par une courbe inclinée très faiblement ascendante, sur laquelle il est souvent malaisé de marquer le joint où la maladie peut être affirmée. »

Cela semble encore plus vrai pour l’état psychique. Du rêve au délire il n’y a qu’une différence de degré ; tout le monde rêve plus ou moins et le délirant n’est souvent qu’un rêveur qui continue à l’état de veille. Du raisonnable froid au passionné emporté, de l’original au bizarre, du nerveux à l’agité, du toqué au dément, il y a tous les termes de transition, et il est impossible de dire où commence la folie : une démarcation précise serait arbitraire et fausse. « L’homme répondant au type idéal, d’anatomie et de physiologie normales, de mentalité parfaite, n’existe vraisemblablement pas, dit le docteur Héricourt. Au contraire, tous nous présentons quelques tares, quelques anomalies, quelques points faibles. » Et, comme dit M. Michel