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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/909

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toires, les demi-fous. La ligne de démarcation peut parfois être indécise entre deux groupes contigus, le diagnostic différentiel est parfois difficile ; il y a des sujets qu’on est tenté de jucher sur la muraille de séparation de deux domaines contigus ou pour lesquels on voudrait jeter un pont sur le fossé qui les délimite. Mais l’existence des trois groupes n’en est pas pour cela ébranlée : malgré la sériation continue et le nombre des intermédiaires, il faut distinguer les raisonnables, les demi-fous et les fous.

Le même raisonnement peut être fait pour la responsabilité. C’est par un étrange abus de mots qu’on veut assimiler à la suggestion hypnotique l’enseignement, le conseil, la prédiction et tous les moyens qu’a un psychisme d’exercer son influence sur un autre psychisme. Quoi qu’en dise le professeur Bernheim[1], la suggestion vraie (la seule qui entraîne l’irresponsabilité, celle pour laquelle le mot devrait être réservé) la suggestion vraie suppose l’annulation complète du centre supérieur de contrôle du sujet, et l’obéissance passive, imposée, de ses centres inférieurs au centre supérieur de l’hypnotiseur. Quand on s’adresse au seul polygone d’un sujet, entièrement désagrégé de son O, on enlève à ce sujet la responsabilité de son acte ; mais quand on s’adresse aux centres supérieurs du sujet, on ne lui enlève nullement la responsabilité des actes qu’il pourrait commettre sous cette influence. La suggestion est un phénomène pathologique ou tout au moins extra-physiologique et tout le monde ne peut pas être mis en hypnose, c’est-à-dire en état de suggestibilité. Le conseil, la persuasion, l’éducation… sont des moyens d’action absolument physiologiques, auxquels chacun est accessible à des degrés divers. Il faut donc se garder de donner aux divers mobiles et motifs de nos actes la valeur d’une suggestion. À moins précisément d’être fou, l’homme a toujours des motifs ou des mobiles pour ses actes, même criminels ; cela n’empêche pas qu’il en soit responsable, s’il est sain d’esprit et s’il a pu juger la portée de son acte.

Il est donc impossible de dire, avec Bernheim, que « la suggestion, c’est-à-dire l’idée, d’où qu’elle vienne, s’imposant au cerveau, joue un rôle dans presque tous les crimes ; » et que, par suite, il n’y a plus ni responsables ni irresponsables, qu’il y a

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1905.