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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/910

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seulement un bloc unique de gens tous plus ou moins irresponsables. Il est également anti-scientifique de soutenir que l’homme criminel est aussi peu responsable « que l’arbre chétif. »

J’admets pour un moment que l’homme et l’arbre soient, l’un et l’autre, soumis au déterminisme ; ce caractère les rapprochera, mais ne les identifiera pas. Les lois de ce déterminisme resteront différentes pour l’arbre et pour l’homme. Pour l’arbre, la terre, l’air, l’humidité… sont les seuls élémens de détermination de sa croissance et de ses mouvemens. Chez l’homme, il y a des centres psychiques dont l’activité propre intervient pour apprécier, classer et juger les mobiles et les motifs avant tout acte. C’est là un fait brut, scientifiquement établi. L’acte humain est le résultat d’un jugement entre les divers mobiles et motifs. Est responsable l’homme qui a des centres nerveux sains, qui est en état de juger sainement la valeur comparée de ces divers mobiles et motifs. L’arbre n’ayant pas de centres psychiques, la question ne se pose pas de chercher chez lui la persistance ou la destruction de cette responsabilité. Donc, même si on les admet rapprochés dans un déterminisme aussi absolu, l’homme et l’arbre ne sont pas comparables pour la question de la responsabilité médicale. Pour se garantir de l’arbre qui menace de vous tuer en tombant, il suffit d’établir des tuteurs assez forts sous ses branches ; pour se garantir de l’homme qui menace de vous tuer, il faut lui donner des connaissances, lui fournir des mobiles et des motifs qui l’empêchent de commettre l’acte. Le médecin a à juger si l’homme est capable de sainement apprécier la valeur de ces divers mobiles ; il n’a rien à voir dans la question de l’arbre.

En d’autres termes, même en supposant qu’on arrive un jour à supprimer la responsabilité morale devant la conscience, à supprimer le mérite et le démérite, la vertu et le vice, l’entière obligation morale, même sous le règne absolu de la « morale scientifique, » la question survivrait de la responsabilité sociale devant la loi et la société ; cette responsabilité varierait suivant le psychisme de chacun ; et comme nous avons établi trois groupes dans les psychismes il serait encore scientifiquement nécessaire d’établir trois groupes corrélatifs au point de vue de la responsabilité : les responsables (raisonnables), les irresponsables (fous) et les demi-responsables (demi-fous).