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De cette discussion, peut-être un peu longue, mais absolument capitale pour établir les droits à l’existence de notre sujet, on peut conclure : 1o qu’il est scientifiquement impossible de grouper tous les hommes en un bloc unique d’êtres, tous plus ou moins irresponsables ; 2o qu’il est scientifiquement impossible de diviser tous les hommes en deux blocs, comprenant l’un les fous ou irresponsables, l’autre les raisonnables ou responsables ; 3o qu’il est scientifiquement nécessaire d’admettre trois groupes distincts et séparés : les raisonnables responsables, les fous irresponsables, et les demi-fous demi-responsables.


IV

Je pense avoir démontré dans les pages qui précèdent l’existence des demi-fous ; c’était l’introduction nécessaire à leur étude. Il faut essayer maintenant de les caractériser et de montrer en quoi ils diffèrent d’un côté des gens raisonnables et de l’autre des fous, avec lesquels on les confond trop souvent.

Je voudrais particulièrement indiquer cette idée que, si le demi-fou est un malade, ce n’est pas un malade comme le fou. Celui-ci n’a besoin que du médecin et de l’infirmier ; celui-là a un rôle social parfois important, qu’il faut savoir reconnaître et dont on aurait grand tort de se priver. Ce que j’ai dit dans les paragraphes précédens montre bien que chez le demi-fou tout le psychisme n’est pas atrophié, dégénéré ou malade. Il y a de l’inégalité dans le développement des divers centres psychiques ; certains sont affaiblis, mais certains autres peuvent être très actifs, jeter même plus d’éclat et rendre plus de services à la santé que d’autres cerveaux plus pondérés, mieux équilibrés, considérés comme plus normaux.

À ce chapitre on pourrait donner pour épigraphe cette tirade du demi-fou conçu par M. Jean Richepin :

Quelques-uns ont germé, des bons grains que je sème.
Ce n’est donc pas en vain qu’ici-bas j’ai passé.
Les rêves dont je meurs, des fleurs en ont poussé.
Ô pauvres hommes, dans votre val de misères,
Ces irréelles fleurs d’en haut sont nécessaires,
Autant, et plus encor, certes, à votre bien,
Que la réalité du pain quotidien.
Et vous la méprisez, pourtant, cette ambroisie :
Beau, vrai, grand, idéal, justice, poésie !