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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/918

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Quand Pasteur a découvert le remède de la rage, il avait eu une paralysie par lésion du cerveau ; évidemment les centres cérébraux avec lesquels il a fait sa découverte n’étaient pas les mêmes que les centres frappés par l’attaque.

Donc, le cerveau psychique doit être divisé en régions, en départemens distincts, et on comprend très bien que, chez le même individu, un département soit malade et un autre département, normal ou même supérieur.

Donc, le génie n’est pas une névrose ; la névrose est plutôt la rançon du génie[1]. La supériorité intellectuelle n’est pas un symptôme de névrose ; la névrose est plutôt la plaie, la complication de la supériorité. Ce n’est pas la cause, c’est souvent l’obstacle. Comme dit M. L. Bourdeau, « l’équilibre des facultés n’aboutit la plupart du temps qu’à une médiocrité heureuse. Les tendances géniales dépriment certaines facultés et en exaltent d’autres. Il y a dans le génie une part de névrose qui lui donne, pour ainsi dire, sa force d’impulsion » ou, trop souvent aussi, le limite. Cela bien établi et compris, il n’en reste pas moins démontré que les demi-fous sont très souvent intelligens, très intelligens même, que ce ne sont pas toujours des non-valeurs sociales, qu’ils portent au contraire souvent un appoint marqué au progrès littéraire ou artistique de leur siècle.


V


Les demi-fous étant ainsi caractérisés au point de vue mondain et social, il faut indiquer en quelques mots comment ils sont compris et décrits par les médecins.

La demi-folie dont l’étude médicale débute vraiment, en 1861, avec le beau livre de Trélat sur la folie lucide, peut être décrite, dans trois groupes de faits : 1o il y a des symptômes de demi-folie chez certains fous internés dans les asiles ; 2o les fous qui guérissent transitoirement et restent le plus souvent des demi-fous dans l’intervalle de deux crises consécutives de folie ; 3o il

  1. Émile Faguet m’a objecté que la névrose paraît plus fréquente chez les hommes de génie uniquement parce qu’on la remarque plus facilement chez eux ; et M. Paul Bourget croit que chez certains supérieurs intellectuels la névrose est simulée ou exagérée pour la mystification du philistin. — Je ne crois pas que ces observations, très justes en soi, infirment la thèse que je soutenais en 1900, et que je reprends dans le présent article.