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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/921

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De ce tableau classique d’ensemble, on pourrait distinguer quelques types plus spéciaux.

Dans une scène de pure fantaisie, mais de profonde observation, de Mère, Hector Malot décrit la salle d’attente d’un grand médecin neurologue, où attendent des cliens, dans l’attitude des « pingouins. » Tout d’un coup, l’un d’eux, « personnage grave, » correctement habillé, de tournure distinguée, l’air d’un diplomate ou d’un magistrat, » quitte son fauteuil et va à Victorien « avec toutes les marques d’une extrême politesse à laquelle se mêlait un certain embarras : — Pardonnez-moi, monsieur, lui dit-il, de vous adresser une question sans avoir l’honneur d’être connu de vous. — Victorien le regarda interloqué. — Combien avez-vous au juste de boutons à votre gilet ? — Ma foi, monsieur, je n’en sais rien du tout. — Permettez-moi de les compter, je vous prie. — Volontiers. — Un, deux, trois… huit. Vous en avez huit. — Je vous remercie. — C’est moi, monsieur, qui vous adresse tous mes remerciemens ; je ne pouvais arriver à faire mon compte, votre écharpe me gênait ; c’était cruellement douloureux ; quand le besoin de compter me prend, il faut que je compte. Je vous suis fort obligé. — C’est moi, monsieur, qui suis heureux d’avoir pu vous être agréable. »

Le docteur Toulouse raconte que Zola comptait, dans la rue, les becs de gaz, les numéros des portes et surtout les numéros des fiacres dont il additionnait tous les chiffres comme des unités. Renversé par un fiacre, il se hâte d’additionner les chiffres du numéro de la voiture. Si parvos licet componere magnis, je dirai que j’ai été longtemps obsédé, en chemin de fer, par le désir anxieux de diviser le numéro du wagon par le numéro du compartiment (placé au-dessous comme dans une fraction).

MM. Raymond et Pierre Janet ont très bien analysé les psychasthéniques, c’est-à-dire les débiles psychiques qui, ne présentant pas la résistance normale aux idées et aux sensations, se laissent dominer et obséder par elles : de là, les phobies et les impulsions les plus étranges.

Les phobiques sont légion : ils ont peur de l’espace vide (d’une place publique) ou de l’espace plein (d’un théâtre ou d’une église) ; ils ont peur de s’évanouir ou de rougir ; ils ont peur de toucher les objets et n’ouvrent une porte qu’avec un pan de leur habit ; ils ont peur de la mort, de la maladie, du