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Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/147

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décernait le prix. Sept ans après, la commission des prix décennaux proposait l’ouvrage pour le douzième grand prix de première classe, mais elle passait sous silence le Génie du Christianisme de Chateaubriand. L’Institut, reconnaissant à Villers d’avoir exprimé, défendu ses propres idées, ’lui payait sa dette.

Que ce livre fût un livre dû aux circonstances, cela est trop évident ; mais il contient des principes généraux qui, maintenant encore, nous intéressent.

Tout d’abord l’idée essentielle de l’ouvrage, c’est la croyance à la perfectibilité ou, comme nous disons maintenant, au progrès, doctrine chère aux « belles unies, » aux encyclopédistes, à Mme de Staël, aux idéologues de toute sorte, à l’Institut. Cette théorie était alors, au début du XIXe siècle, comme une sorte de champ clos où se rencontraient les partis, les défenseurs de la philosophie et les apologistes du catholicisme, la Révolution et la contre-Révolution. Villers n’a pas manqué de nous faire sa profession de foi au début de l’ouvrage ; on ne sait si c’est de la Révolution française qu’il parle, ou de la Réforme, ou plutôt on voit très nettement que, dans sa pensée, elles dérivent d’un même principe. Ce principe, c’est que l’idée de révolution est, au fond, identique à l’idée de progrès ; c’est que l’histoire de la civilisation n’est qu’une suite ininterrompue de reformations, les unes violentes, les autres sourdes, qui, de loin en loin, nous apparaissent comme les « pierres milliaires » jalonnant la marche de l’humanité[1]. Considérée de cette hauteur, la Réforme de Luther n’est plus qu’un acte naturel d’émancipation, une révolte légitime contre l’abus insupportable de l’autorité ; la Révolution française en est le « corollaire » indispensable. Sans cesse Villers, en écrivant son livre, avait eu devant les yeux les événemens de cette Révolution. C’était à la fois le mérite et le défaut de son ouvrage d’expliquer le passé par le présent, d’écrire l’histoire de la plus grande révolution religieuse des temps modernes à la lumière de la plus grande révolution politique et sociale, l’idée, pour l’époque, était audacieuse ; les allusions fréquentes, directes, excitaient les esprits : lu clergé dépossédé de son autorité et de ses biens, les droits de l’homme proclamés, la monarchie renversée. Le bon Villers, l’ancien émigré converti à la Révolution, s’efforçait de rassurer avec

  1. Pages 22 et suivantes.