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candeur les âmes « douces et paisibles » qu’effrayaient les convulsions révolutionnaires, expliquait que « l’Univers n’était pas une Arcadie, » que ces convulsions étaient « l’image de la nature. » « Il convient, disait-il, à l’homme qui sait vivre dans son siècle de s’y résigner et d’y considérer l’accomplissement des lois profondes qui dirigent le grand Tout ! »

Langage bien digne d’un philosophe, mais, avouons-le, faible consolation pour ceux qui avaient perdu dans la tourmente révolutionnaire leurs biens, leurs amis, leurs parens, et qui avaient failli périr eux-mêmes ! Tels étaient les souvenirs qu’éveillait alors dans les esprits de beaucoup de Français cette théorie de la perfectibilité ; on rendait la philosophie, l’ « idéologie » responsable de tous les excès de la Terreur ; les mêmes journaux, qui s’étaient acharnés sur la Littérature de Mme de Staël, fondirent sur Villers, et l’un d’eux, s’indignant du prix qu’avait décerné l’Institut, qualifia ce livre de « bréviaire philosophique et révolutionnaire que Robespierre aurait couronné[1]. »

Mais outre cette éternelle question de la perfectibilité, toujours soutenue et combattue de part et d’autre avec une égale ardeur, il était un point précis que Villers prétendait mettre en lumière et qui, au lendemain du Concordat, faisait, comme on dit, l’actualité de son livre : Villers y soutenait très nettement la religion réformée contre le catholicisme, parce que, suivant lui, la liberté est le principe de l’une, l’autorité le fondement de l’autre, et qu’il y a relation étroite et rapport constant entre les croyances religieuses d’un pays et ses institutions politiques. Ce que désiraient, en effet, les « philosophes » de ce temps, ce n’était point la séparation des Eglises et de l’Etat : la question n’était pas ainsi posée ; ils n’avaient pas non plus, en général, d’hostilité décidée contre les croyances religieuses ; la plupart même, comme Villers et Mme de Staël, les jugeaient nécessaires. Mais ils voulaient tourner au profit de l’Etat la force du sentiment religieux et, en quelque sorte, fonder les institutions politiques sur les croyances[2]. Cette idée apparaît très clairement dans le livre Des circonstances actuelles, que Mme de Staël avait

  1. Le Mercure de France, 29 sept. 1804.
  2. « Nous croyons qu’il y aurait de grands avantages à convenir d’un culte public, » disait la Décade philosophique et littéraire dans son numéro du 10 fructidor an VIII, mais il était sous-entendu que ce culte ne serait pas, ne pouvait pas être le catholicisme.