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moins grande qu’on ne se l’imagine ; la religion, pour tous deux ; est un moyen, non pas un but ; c’est sur le choix qu’ils diffèrent. D’autre part, Villers et ses amis avaient-ils raison d’imputer au catholicisme ce besoin d’autorité qui travaillait la France ? Il serait puéril d’insister sur leur erreur ; mais il faut dire que le Premier Consul, en voulant faire du catholicisme une arme à son usage, légitimait leurs méfiances, et cela excuse, dans une certaine mesure, leur injustice.

Ainsi finissait, en ces années 1803-1804, cette « littérature républicaine, » que Sainte-Beuve a justement signalée[1], et qui, quelques années auparavant, avec les Garat, les Daunou, les M.-J. Chénier, les Constant, les Staël, avait tenté de s’épanouir. Il est curieux de remarquer que les dernières pages en sont écrites par un ancien émigré, qui avait peu de raisons d’aimer la Révolution et s’était détaché de la France, mais qui faisait passer avant ses rancunes les principes de la philosophie et de la liberté.


IV

Entre cet « idéologue » et Napoléon la brouille était fatale. Déjà le républicanisme de son Luther avait déplu ; la presse officielle avait durement relevé l’éloge des nations protestantes, de l’Allemagne, de l’Angleterre surtout et de sa marine ; on était en plein camp de Boulogne, le Premier Consul pensait abattre l’éternelle ennemie. Villers avait touché le point sensible. Trois ans plus tard, il revient à la charge ; cette fois, c’est la guerre et la conquête qu’il dénonce, avec toutes leurs horreurs. De la part d’un ancien officier, cela peut surprendre ; mais Villers est, avant tout, philosophe : c’est un ancêtre de notre pacifisme moderne. Il déteste la guerre comme les encyclopédistes, comme Voltaire, Condorcet, comme Kant, son maître préféré, la détestent, parce que la guerre entrave le progrès et la civilisation ; il la déteste aussi par expérience personnelle, parce qu’il en a vu les atrocités, le spectacle effroyable ; et avec beaucoup de courage, de candeur aussi et de naïveté, il a pris en philosophe la défense des victimes.

Voici à quelle occasion. Après la bataille d’Iéna, Blucher

  1. Chateaubriand et son croupe littéraire, éd. 1889, t. I, p. 53.