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professeur à l’Université de Gœttingue et se préparait à rejoindre son poste. Il habitait alors Lubeck, Breitstrasse, n° 650, quand un matin, le 19 février 1811, il vit entrer dans son cabinet « donnant sur la cour » trois personnages qui lui étaient inconnus ; c’étaient le chef d’escadron Chariot, de la 17e légion de gendarmerie, détaché à l’armée d’Allemagne, un chef de bataillon du 30e régiment d’infanterie et un adjudant interprète. Ces trois messieurs étaient envoyés par le colonel Saunier, grand-prévôt de l’armée, sur l’ordre de Davout, qui avait sous son commandement, depuis le mois de décembre 1810, les trois nouveaux départemens formés par la réunion du territoire d’Oldenbourg et des villes hanséatiques à la France. Ils étaient chargés de faire une perquisition chez Villers ; ils saisirent un certain nombre de brochures et de lettres, parmi lesquelles cinquante et un exemplaires de la Lettre à Fanny de Beauharnais. Villers ne fit pas, il faut l’avouer, très bonne contenance ; CL même jour, 19 février, il écrivit, au prince d’Eckmuhl, une lettre où il protestait de son amour pour la France et de son « dévouement sans bornes » à son souverain ; il appelait la Lettre à Fanny un « vieux péché de jeunesse, » dont il s’était « assez repenti, » et prétendait n’avoir fait son discours au sénat de Lubeck que pour « faire chérir aux Lubequois leur réunion au grand Empire. » Ce peu de fierté ne réussit pas à désarmer Davout. Le 7 mars 1811, le prince d’Eckmuhl informait le duc de Rovigo que le sieur Villers, « qui faisait l’important » auprès des villes hanséatiques et qui était l’auteur du « libelle le plus virulent » contre les troupes françaises, avait reçu l’ordre de quitter le territoire des trois départemens soumis à son autorité et de partir pour Gœttingue : « Il n’y prêchera certainement pas, ajoutait le prince, l’amour des Français[1]. »

La malechance s’acharnait sur Villers. Persécuté par Davout comme n’étant pas Français, il fut, à la chute de Napoléon, en 1814, destitué comme Français de ses fonctions de professeur à l’Université de Gœttingue par le cabinet de Hanovre. Il dut faire alors d’amères réflexions sur le rôle ingrat qu’il avait joué et la tâche toujours difficile, mais surtout à une époque troublée, de défendre contre les politiques la justice et la liberté. Fidèle à sa chère Allemagne, il refusa de revenir en France ; sur les

  1. Archives nationales, F7, 6565.